A ma naissance, à peine le cordon ombilical coupé, ma mère me demanda si je tenais à m’appeler Renaud. Je trouvais ça sympa pour un premier rendez-vous mais j’eu toutes les peines du monde à lui expliquer que de Renaud, il n’y en avait qu’un, surtout que j’avais longuement eu le temps de potasser la question en l’écoutant au chaud pendant 9 mois. Non, j’allais pas lui piquer son blaze, déjà que j’étais parti pour lui piquer son flingue. Une trentaine d’années plus tard, le bien nommé Séchan a retrouvé son gun avec un album tout en nuance qui s’intitule « Rouge Sang » et moi, j’ai rencontré une sorte de demi-frère… d’armes. Renaud : «Tu fais déjà tourner ton bidule ? (mon dictaphone) »
Pierre : Oui car je tenais tout de suite à rentrer dans le vif du sujet et te dire que si je suis là, au titre de journaliste musical, c’est en partie grâce à toi… En effet, quand j’étais encore un minot, et suite à tes articles dans Charlie-Hebdo, je t’avais envoyé quelques textes et tu m’avais répondu fort gentiment : « Y a encore du boulot mais accroche toi ». Renaud : Tu sais je répondais à tous les courriers. C’était pas dur de toute manière : je recevais soit des insultes du style « enfoiré pourquoi t’écris pas ce que j’ai envie que tu écrives… on s’en fout de ta femme et de ton chien, parle nous de la Bosnie» soit des lettres tellement émouvantes que je répondais aussi. En ce qui te concerne : si j’ai servi qu’à ça c’est déjà pas mal ! Pierre : Je voudrais commencer par te dire que pour moi ce « Rouge Sang » a toutes les formes des romans de René Fallet ! Renaud : Ho là c’est le plus beau compliment de toute ma carrière ! celui là et celui de Brassens quand je l’ai rencontré il y a 20 ans et qu’il m’a dit que mes chansons étaient merveilleusement bien construites. Je radote je sais, j’ai déjà du le dire dans 1000 interviews mais c’est ma légion d’honneur à moi, c’est ma vraie victoire de la musique, mon vrai disque de diamant… cette petite phrase de Brassens. Maintenant si tu me dis que mon album ressemble à un roman de René Fallet, je suis aux anges ! Pierre : Tu sais pourquoi ? Renaud : Non mais vas y dit ? Pierre : Parce que tout comme lui dans ses livres, chez toi il y a cette veine whisky et cette veine beaujolais… Renaud : La veine whisky c’est quoi c’est la colère ? et la veine beaujolais c’est la veine bistrot comptoir, café du commerce, propos politiquo-sociaux, méchants et agressifs, désespérés et anarchistes ? Pierre : Je suis pas tout à fait d’accord… Renaud : Propos primaires alors ? c’est ce que je lis dans certaines critiques, qui sont parfois même intelligentes. Comme redondant ou convenu. J’ai une très belle critique d’un mec de RFI qui me qualifiait de sincère mais convenu. Et je ne peux que souligner que mes colères sont des engagements convenus. J’ai convenu à l’âge de 15 ans avec ma conscience d’être réfractaire à l’injustice, à la misère et à l’oppression et je continu depuis, je les dénonce toujours. Pierre : Mais en même temps tu n’hésites pas à avouer tes paradoxes ? Renaud : Je les assume en tout cas. J’essaye de les expliquer. En essayant de les justifier je me les explique à moi même. Le plus grand des paradoxes, de la part de mes adversaires actuellement en ce qui me concerne, c’est d’être soi disant écolo et de rouler en 4x4. Je peux leur citer mille exemples de contradictions chez les écolos ! J’ai au moins cet honneur dans ma vie de dire que je suis écolo : je suis hyper sensible aux menaces et aux massacres de l’environnement, aux pollutions des forêts et des rivières. Alors oui je roule en 4x4 non pas parce que j’aime les grosses voitures mais parce que j’ai un gros chien, un bébé, une poussette avec des roulettes d’un coté et des nacelles de l’autre, plus une poussette canne, plus 2 guitares et 3 bagages. De toi à moi, si tu savais ce que les blondes emportent pour un week-end, tu ne peux pas imaginer ce qu’elles peuvent prendre pour deux mois. J’ai besoin d’être en sécurité quand je fais 30 000 bornes par an. De toute manière mon 4x4 doit moins polluer que les vieilles R5 pas révisées depuis 10 ans. Pierre : Tes contradictions sont celles de tout un chacun ? Renaud : Cela fait partie des conflits internes que j’assume. Celui qui n’est pas plein de contradictions dans sa gestion de vie quotidienne, celui là et lui seul peut me jeter la première pierre. Il n’y a pas de règles : on peut être anti-américain et boire du coca ! Quand tu sais les ravages occasionnés par Coca en Inde sur les nappes phréatiques au détriment des petits agriculteurs qui n’ont plus d’eau parce que Coca se sert de cette eau pour faire sa merde. L’écolo qui m’interpelle parce que j’ai cette voiture et qui boit cette pisse est ridicule. Tu vois, on peut chipoter et enculer les mouches longtemps eux et moi. Pierre : Les USA, ils sont ultra libéraux mais ils ont… (il me coupe) Renaud : L’Amérique c’est un pays de merde mais ils ont inventé Bruce Sprinsteen, Woody Allen, etc… tu prends n’importe quel anonyme dans une foule américaine et c’est un acteur né. Tous les rôles secondaires aux US sont aussi bons que nos stars d’ici ! toute médaille à son revers. Il y a la grandeur de ce pays : tout ce qu’il a appris au monde en matière de développement économique, culturel, de liberté mais parallèlement, c’est une terre de puritain, où les armes sont en vente libre, engendrant des massacres tous les jours, c’est un pays qui vient de rétablir la torture sous prétexte de terrorisme. C’est la porte ouverte à toutes les bavures. Enfin c’est un pays noir et blanc, barbare et géant. Je pourrais faire une chanson sur tout ce que j’aime en Amérique, je pourrais parler d’Hemingway, de Faulkner. Je pourrais parler de la littérature américaine, de scientifiques, de l’art contemporain, bref de milliards de choses mais là c’était un brûlot que j’écrivais sur le coté noir de ce pays. Einstein disait que c’était le seul pays qui soit passé directement de la barbarie à la décadence, sans connaître la civilisation. Pierre : Je voulais savoir Renaud, pourquoi il y avait pour ce dernier disque : un album de 17 titres et un autre de 24 ? Renaud : Parce qu’en général, quand je rentre en studio, j’ai à peu près 10, 12 ou 14 chansons finies. Bizarrement pendant que les musiciens jouent, que les ingénieurs du son règlent la technique pendant des plombes, moi je m’emmerde donc j’écris… et je compose même parfois. Souvent des chansons naissent en studio comme « Mistral Gagnant » ou « Manathan Kaboul ». En l’occurrence j’avais beaucoup de textes pas tout à fait finis, Bucolo m’avait fait des musiques vierges de mots sur lesquelles j’ai écrit genre « Nos Vieux ». J’ai écrit et composé la musique de « Danser à Rome » qui n’était pas prévu mais dont j’avais le texte sous le coude. Arrivé à 18 chansons je me suis dit, allez encore 2 et à la limite je peux faire un double. 2 fois 10 chansons. Je suis parti dans cette idée. Pierre : Entre l’idée de le faire et le réaliser, il y a un grand pas à franchir ? Renaud : A l’époque, j’étais 20 heures par jour en communication avec 2 sites de fans dont le HLM et un forum privé que j’ai crée avec les meilleurs du premier. C’est un forum que tu trouveras jamais sur Google parce que l’adresse est privée avec un code pour y accéder. J’ai pris les plus méchants, les plus gentils, les plus drôles, les plus intelligents et littéraires, et j’ai parlé avec ces gens là pour évoquer mon prochain disque. Je ne confonds pas le grand publique et les fans, ce sont deux choses totalement différentes. Les fans sont à la fois les plus amoureux et les plus critiques et chiants comme la mort. En leur demandant leurs envies, car moi j’avais peur que ce soit indigeste, d’une manière générale : 95 % m’ont encouragé à le faire. Ce ne sont pas eux qui ont déterminé ma décision mais ils m’ont conforté dans l’idée. Pierre : Personne n’a essayé de te faire changer d’avis ? Renaud : Bucolo était totalement opposé à ça, il voulait que je garde les 15 meilleurs dont 10 à lui bien sur ! Et la maison de disque me disait : des doubles ça ne marche pas, ça ne se vend pas. Ils m’ont dit aussi (sic) que les journalistes n’écoutent déjà pas attentivement les albums simples, alors imagine un double, et surtout ils vont s’attacher aux chansons les moins réussies. Mais bon chez Mozart ou les Beatles il y a du très bon, du passable et du meilleur… heu je ne me compare pas à eux mais c’est un peu mon album blanc à moi. Pierre : Avec donc du bon et du moins bon ? Renaud : Là dedans il y a du chef d’œuvre, du clément et du mauvais. Commercialement, selon les responsables de la maison de disque, c’est très dur à vendre. Ca ne tient pas dans les bacs, ça va être plus cher, le public va être échaudé par le prix prohibitif. Mais pas du tout. Il est franchement pas cher : je crois qu’il est à 22 euros, 25 chansons, 84 pages de livret c’est moins cher que si tu vas le télécharger. Ce livret je le trouve magnifique. Je rend hommage à Kiloffer d’ailleurs chaque fois que je le peux. Donc j’ai transigé, je leur ai demandé de faire un double pour au moins les plus acharnés et les plus amoureux de mes chansons en tirage limité et puis le simple pour les médias, le grand publique et les journalistes qui ont raté quelques brûlots et je le regrette car cela aurait suscité d’autres polémiques. Les plus fidèles auront pour quasiment le prix d’un simple : un double dont l’écrin est magnifique. Le contenu, je ne sais pas si c’est un bijou mais l’écrin est beau. Pierre : Après un disque de crayons de couleur en fer pour « La Belle de Mai », un disque de peinture pour « Boucan d’Enfer », se retrouver en personnage de Bande-Dessinée c’est un chouette projet ? Renaud : D’une manière générale ce beau disque me protége du téléchargement. J’apporte un soin jalou au contenant. Que celui ci soit aussi beau et agréable à regarder que le contenu à écouter éventuellement. Aujourd’hui avec le recul, je me dis que je n’aurais du sortir qu’un double ! Imposer ce disque. Mais bon la maison de disque m’a fait peur, non pas en me disant que cela n’allait pas marcher et ne pas se vendre, mais en me promettant qu’artistiquement ce n’était pas une bonne idée. Je ne saurais jamais si j’aurais eu tord ou raison, mais vraisemblablement d’ici une quinzaine de jours, Virgin va annoncer qu’il n’y a plus un seul double sur le marché. Et tu vas voir qu’à Noël, ils vont nous refaire un tirage de 150 000 double albums. Et là j’aurais ma revanche (rire), je leur dirais que je n’aurais pas du les écouter, qu’ils sont tous des enfoirés. Je me vois déjà leur dire : « Vous avez tord et le renard a toujours raison car il a du flair et de l’instinct ». Pierre : Quel est le combat ordinaire à toi, celui de tous les jours ? Renaud : Mon espoir, toutes les nuits, c’est de me réveiller vivant le matin. Qu’il fasse jour et que l’hiver nucléaire ne soit pas tombé sur l’humanité. Que je sois vivant et en bonne santé. Pierre : Je vois par contre même si tu chantes « Arrêter la Clope ! » que tu n’as pas stoppé totalement ce vice ? Renaud : C’est un de mes sujets d’inquiétude qui me fait penser que parfois je pourrais ne pas me réveiller. Pierre : C’était peut être aussi important de diminuer ta consommation de clopes pour ta voix lors de tes concerts ? Renaud : Je fume encore plus qu’à l’époque de « Boucan d’Enfer » ! Depuis quelques mois, avec la naissance du môme, la vie quotidienne, la vie amoureuse et la promo, la sortie du disque, je dois être à 3 ou 4 paquets par jour ! J’ai retrouvé ma voix un petit peu même si elle reste toujours aussi pourrie. J’ai lu dans un article que je chantais avant délicieusement faux et qu’aujourd’hui je chante juste faux ! Pierre : Ces critiques ont l’air de te toucher beaucoup plus pour cet album là que pour les autres ? Renaud : Oui ! Tout d’abord car pour les autres il y en a eu très peu. Les gens qui ont été unanimes, à tresser des louanges sur « Boucan d’Enfer » se renient aujourd’hui en disant que c’était de la daube, que je me complais dans l’auto dénigrement et l’autosuffisance. Ceux qui criaient au génie explique que mes chansons sont tristes, dépressives et alcooliques. Ils me reprochent que « Boucan d’Enfer » fut un album nombriliste, où je n’avais plus de colère et perdu mon flingue et ils continuent en démolissant « Rouge Sang » avec une férocité, limite de la calomnie. Cette presse bobo de gauche parisienne est tellement excessive que je sens non pas une cabale, mais je sais au moins où sont mes vrais ennemis. Toute la presse populaire m’encense et la presse de gauche bourgeois bohème, ou plutôt bourgeois-bourgeois, dite de gauche parisienne qui ne va pas en province, qui ne touche pas le cœur des gens dans les banlieues où les cités, me reproche à moi d’avoir perdu toute légitimité populaire. C’est à mourir de rire. Qui de eux ou moi vendent dans les banlieues et les provinces, les campagnes ? Tu crois qu’on lit Libé là bas ? non on lit Charlie, on écoute Bénabar, on écoute des radios à la con mais pas cette presse bourgeoise, conformiste, bien pensante, moralisatrice, politiquement correcte. Pierre : Mais ce combat dure depuis tes débuts chez Virgin ? Renaud : Non ! depuis toujours ! Pierre : A partir du moment où tu as montré beaucoup plus ta tendresse on t’es tombé dessus, et c’est peut être là, où tu t’es retrouvé dans le gris, dans le ni trop, ni pas assez que les gens se sont sentis trahis ? Renaud : Depuis 20 ans j’en ai pris plein la gueule. La majorité des artistes ont le cœur à gauche, expriment des idées de gauche… cite moi un artiste de droite qui chante des chansons de droite à part Sardou ? Mais ces chanteurs qui sont aussi populaires que moi, qui gagnent leur vie aussi bien que moi , n’ont pas un article pour décrire leur patrimoine immobilier dans le Point et leur marque de voiture ! C’est une tentative de destruction avec moi. Surtout qu’ils savent que je n’assume pas bien l’argent, la réussite sociale, économique et le pognon. A cause de mon éducation et des mes convictions fraternelles. Ils me poussent connement à me justifier de comment j’emploie mon argent. Certains placent leurs droits d’auteurs dans les CICAV ou comme d’autres, dans des Boeing de compagnie aérienne, moi je préfère acheter des maisons dans des endroits de la planète où j’aime vivre, où je trouve la culture, l’histoire extraordinaire : en Angleterre, au Maroc, dans le sud de la France.. Pierre : Bruxelles peut être où se trouve le studio ICP là où tu enregistres tes 2 derniers disques, pour moi c’est ton Jaligny sur-Besbre pour faire encore un clin d’œil à Fallet ? Renaud : C’est un peu mon Jaligny à moi mais Romane est pas tout à fait aussi amoureuse que moi de Bruxelles. J’adore cette ville, je la connais depuis 30 ans, depuis 73 même. Pierre : Bon on revient sur « Rouge Sang » ? Renaud : Attends ! j’ai pas fini avec mes rapports aux médias. On me reproche vraiment tout et n’importe quoi. L’autre jour, j’ai entendu une chronique drôle, sympathique et rigolote d’un chroniqueur de chez Stéphane Bern qui conclue par « ouais mais bon il fait chier, il nous emmerde avec ses dérapages, ses compromissions et ses erreurs de comportements… mais ensuite il cite dans sa réprimande générale d’avoir invité à mon mariage Alain Dominique Perrin le PDG de chez Cartier. D’abord il est PDG du groupe Richemont, mais surtout me reprocher mon mariage qui fut tout sauf people avec 100 personnes dont 3 peoples : Perrin, Drucker qui m’a toujours soutenu proprement, dignement, dont on pense ce qu’on veut mais qui est un amoureux des artistes et qui fait bien son métier même si c’est pas Michel Pollack. Pierre : Il fait quand même un peu de lèche le Michel ! Renaud : Ouais mais moi aussi quand je rencontre quelqu’un que j’admire ! et le troisième c’était Hugues Auffray, l’idole de mes 15 ans. Donc on me reproche d’avoir invité un ami dont le seul crime est d’être riche et patron. C’est hallucinant de juger les gens sur leurs fréquentations, leurs amis ? Ils vont être étonnés quand ils vont savoir que j’ai des amis à droite ! Non seulement du patronat mais de droite ! (rire) en plus lui c’est un mec bien, mécène, je n’ai pas connaissance qu’il soit exploiteur de ses milliers d’employés. Il ne fait pas fabriquer ses stylos Mont- Blanc à Taiwan ou en Chine. C’était un ami de Coluche. Pierre : ton disque… Renaud : Mais on en parle, je te parle que de ça depuis tout à l’heure. Je veux dire qu’on critique l’homme et pas l’artiste et ça m’énerve. Je suis jugé artistiquement par des gens qui n’ont pas qualité à le faire, ils n’ont jamais écrit une ligne de poésie de leur vie et n’y sont pas sensibles, ils me jugent politiquement d’être de gauche et d’avoir voté « oui » à la constitution comme Hollande, alors qu’eux ont voté « non » comme Le Pen, et ils me jugent donc humainement et globalement. La teneur de leurs critiques c’est Renaud : poivrot, alcoolo, pochetron. Pierre : Stop Renaud ! maintenant parle moi de la production de ton disque : tu es reparti avec la même fine équipe car tu t’es dit ce sont les meilleurs ? Renaud : Non ce ne sont pas les meilleurs. C’est une option de facilité, de flemme. Pour moi une chanson c’est une mélodie et un texte. Tout le reste je m’en fous un peu. J’ai la fainéantise de chercher un arrangeur anglais magnifique. J’ai essayé en écoutant deux, trois disques que l’on me conseillait mais je me suis dit que j’allais reprendre les mêmes que la dernière fois par amitié, par fidélité, parce que Bucolo qui est réalisateur est aussi compositeur et qu’il m’avait fait de jolies musiques sur « Boucan d’Enfer » et il m’en a fait sur celui là aussi. C’est vrai que depuis 2 albums, j’ai peut être perdu mon identité musicale avec beaucoup moins d’accordéons et des musiques un peu plus pop-rock désuètes des années 80, slide-guitare et tout… Pierre : Tu peux comprendre qu’on attend toujours Renaud dans des tons proches de « Marchand de Cailloux » qui est un chef d’œuvre ? Renaud : Mais ce disque était un album concept. Avec des sonorités irlandaises. « La Belle de Mai » c’était un album totalement acoustique, sans batterie, sans synthé, fait à la maison. Pour beaucoup, ces 2 disques sont des albums cultes. Là avec « Rouge Sang » tout du moins musicalement, je suis loin de la réussite de ces 2 albums. Musicalement c’est vrai que je suis un peu déçu par Bucolo qui est un peu variet-rock. Je ne sais pas si en 30 ans de carrière, il y a eu un son Renaud, mais je pense que oui, disons qu’on pourrait qualifier ça de rock-musette et effectivement je l’ai un peu perdu depuis ces 2 derniers disques. Pierre : L’univers musical de « Rouge Sang » ne te convainc pas tout à fait ? Renaud : Ma fille de 26 ans m’a dit qu’elle était très déçue. Elle aimait le Renaud musette qu’elle retrouve plus et semble gaver par les slide-guitare de Bucolo limite californien. Par exemple, une chanson comme « Adieu L’Enfance » qui lui est dédiée, je lui ai chanté avant de la soumettre au public (à une époque quand je parlais d’elle, je ne lui soumettais pas mais aujourd’hui je suis obligé (rire)) donc elle a adoré ma version guitare-voix dans ma cuisine mais elle n’aime plus du tout la version finale. Elle me dit souvent de prendre des jeunes gamins, des arrangeurs à Londres, et c’est ce que je vais faire pour le prochain album. Mais malgré tout, je garderais sûrement des mélodies de Lanty et Bucolo. Notamment de Lanty qui sait de par mes textes amener de l’émotion musicale. Personnellement j’y arrive de moins en moins, même si sur ce dernier j’ai retrouvé l’envie de composer. Dont « Elsa » et « Rouge Sang ». Pierre : « Elsa » je vais te dire : je suis obligé de la passer tellement elle est touchante cette chanson ? Renaud : Tu vois il y a 5 ans le chorus de guitare au milieu cela aurait été un chorus d’accordéon. Pierre : Justement à travers cette chanson, as tu parfois peur de livrer des histoires vraies au public ? Renaud : (catégorique) Jamais ! plus c’est perso, plus ça vient du cœur et des tripes et de l’âme et plus j’ai envie de le livrer. Un artiste c’est comme une streapteeseuse : on montre notre cul, notre âme. On les vend même comme une streap vent son cul. C’est un métier totalement impudique et indécent. Etre sur scène, plus haut que les autres, avec un micro quand les autres n’en ont pas, éclairé quand les autres sont dans l’ombre, c’est quelque chose d’incohérent que mon épouse, par exemple, qui démarre ses premières tournées, a beaucoup de mal à assumer. Dans mes chansons, comme dans les interviews, je donne tout et j’y mets jusqu’à ma vie privée car ma vie privée, contrairement à ceux qui pensent qu’elle est sacrée, moi j’adore l’offrir. Ce que je ne supporte pas c’est qu’on me la vole. Et je n’ai pas envie de la vendre non plus. Je l’ai offerte notamment à Paris-Match. Je leur ai offert moyennant quoi : je leur ai demandé de faire un geste sympa envers une association humanitaire quand j’ai cru comprendre, et je ne le savais pas, que ce genre de reportage people d’artistes se monnayait. Je vais pas te citer les noms et les sommes que untel et untel ont touché pour des vacances à l’île Maurice avec leurs enfants, pour les 14 pages du baptême de la fille adoptive et les zéros rajoutés aux sommes dérisoires que moi j’ai touché pour mon mariage, en l’occurrence 15 000 euros. Quand tu sais que « bip » a pris 1 million de francs pour ses vacances avec ses mômes mineurs sans leur demander leurs avis… qu’on me fasse le procès ensuite comme dans le Nouvel Obs, d’avoir touché le pactole pour vendre mon mariage. Si on me voit dans Voici, Closer, Public, c’est avec des photos volées et sans mon accord. Pierre : Je t’ai lu méchant une fois… Renaud : Ca m’arrive ! Pierre : C’est lorsque tu déclarais pour expliquer le succès de « Boucan d’Enfer » que les gens en avaient peut être marre avant ton retour, de ne pas entendre de bonnes chansons ? Renaud : J’ai dit ça ? j’ai peut être dit ça mais sûrement pas comme ça. J’ai seulement dit que les gens étaient peut être gavés de mielleuses star-académiciennes ou de chanteurs un peu formatés, de hip-hop et de rap poutre apparente. Je voulais dire que peut être j’avais manqué au public. Je t’avoue en toute humilité que les gens manquaient de bonnes chansons et que « Boucan d’Enfer » était un disque de bonnes chansons. Globalement ce que j’écris moi même, c’est ce que j’ai envie d’entendre et je trouve mes chansons belles. Je ne vais pas te dire qu’elles sont moches ? si ? ce serait honteux de produire des titres que le créateur en personne trouve moche ! juste pour le plaisir d’essayer de les vendre. Belles, drôles ou intéressantes. C’est vrai que mes chansons colères sont rarement belles. Elles sont importantes mais ce n’est pas facile de faire de la poésie avec des mots de violence, avec Georges Bush ou Tchernobyl ou Sarko… faire rimer facho et Sarko, immigration et délinquance, cela fait une moins belle chanson que lorsque tu fais rimer Uranus et Anus et Copernic avec Je te nique. C’est ce qu’on me reproche d’ailleurs dans Libé aujourd’hui. Pierre : Ha ? Renaud : Je les cites : « Renaud en est réduit à de la poésie de merde ». Ce qui est marrant, c’est qu’il y a quelques années, ils aimaient justement ma manière de malmener la langue française, d’y intégrer de l’argot et de l’enrichir de cette manière. Il y a quelques temps cela les aurait fait marrer de me voir faire rimer Copernic et Nique. Pierre : Tu es vraiment très très remonté ? Renaud : Oui parce que ces cons là arrivent parfois à me mettre le doute. Pierre : Je vais être sincère, ce dernier disque n’est pas le meilleur mais pas le moins bon Renaud : Pareil ! C’est peut être le plus riche avec des thèmes assez différents. Contrairement à ce que disent les crétins qui pensent que je ne chante que des chansons d’amour pour mon bonheur retrouvé. Il me semble que les textes sont assez diversifiés. C’est peut être excessif d’avoir fait 6 chansons d’amour pour ma Romane mais c’est ma manière de le dire après des années où j’en manquais. Je souffrais d’un manque d’amour ou plutôt, je ne croyais plus à l’amour ou au couple en tout cas. Quand je lis que je suis mort, que je suis un poète foireux aux musiques indigentes, cela me fait rigoler. De toute façon, le plus important c’est que ce disque fasse pleurer aussi bien les filles que les garçons, ces gens qui retrouvent tout ce qu’ils ont toujours aimé chez moi : de la tendresse, de la colère, l’enfance, la nostalgie, l’humour, l’érotisme, le jeu avec les mots de la chanson. Pierre : En fait, je crois que tu ne te rends pas compte du nombre impressionnant des gens qui t’aiment ! Renaud : Si ! même si je prétends que je ne souhaite pas que mes chansons plaisent à tout le monde et que je suis fier d’avoir des ennemis. Quand ils m’attaquent je deviens parano. Et je me demande ce que j’ai bien pu faire pour engendrer autant de haine ! Je me dis que la constance de mes engagements montrent à quel point eux ont renoncé. C’est peut être mégalo de dire ça mais je le pense. Je suis triste, malheureux mais pas fâché contre eux. J’ai de la compassion et de la pitié pour ces gens dont la haine habite le cœur. Je ne suis pas un curé hein ! (rire) mais je suis assez interloqué. Pierre : Et le petit Malone il va bien ? Renaud : Super ! Pierre : Pourquoi il s’appelle pas Pierrot alors ! Renaud : Parce que là j’aurais succombé ! cette chanson a trop été chantée, elle est galvaudée d’une certaine manière. Il aurait pu s’appeler Pierrot mais Malone c’est un prénom mixte, un prénom qui plaisait aussi bien à Romane qu’à moi. Il aurait pu s’appeler Malone-Pierrot Séchan mais je l’ai appellé Malone-Olivier Séchan car mon père est mort quelques jours avant, pour que ma mère se sente pas jalouse de l’amour que je porte à mon père j’ai rajouté Oscar, le nom de son père à elle. Pierre : Et l’album de ta chérie ? Renaud : Il est presque terminé. Je lui ai écrit des chansons d’amour et 2 ou 3 à thème sociétal. 2 sont à mes yeux, et je ne sais pas si je peux avoir un jugement objectif sur mon écriture, mais ces deux là sont certainement les deux plus belles de ma carrière. Il y en a une c’est « Pleure pas » sur l’avortement et l’autre c’est « Dylan » sur un gamin qui se viande en sortant de boite de nuit. Je les mets dans mon panthéon des chansons que j’aime avec « Petite Conne » et « La Teigne » et « La Blanche » et « Rouge Gorges » et enfin « En Cloque ». Pierre : Personnellement, j’ai adoré ta tournée dans tes moments difficiles où tu venais sur scène avec un pianiste et un guitariste, penses tu retrouver ce genre d’intimité ? Renaud : Je te réponds oui j’aimerais le refaire, je vais peut être le refaire, cela dépend de ma vie personnelle et professionnelle, de l’harmonisation de ma vie et de celle de Romane. J’aimerais partir en tournée dans des petits théâtres en laissant du monde à la porte malheureusement. Avec un accordéon, une caisse claire : en petite formation acoustique. Pierre : Et ton fameux roman c’est l’arlésienne ? Renaud : Il paraît que la FNAC l’annonce incessamment sous peu. Il est fou mon éditeur. Ce roman en est à 150 pages et je dois encore en écrire une centaine. Avec tout ce que j’ai eu à faire, j’ai jamais le temps de l’écrire. Je devais déjà lui rendre en Juin dernier, en Septembre et on ne le verra pas en librairie avant Février-Mars. Pierre : Il va parler de quoi ? Renaud : Des années noires, et éventuellement je ferais un petit chapitre qui résumera les 4 années qui ont suivi, sur ma renaissance, si ce n’est artistique mais au moins humaine… et médicale. J’étais mourant et je suis en parfaite santé… En 2002 j’étais encore un peu dépressif, totalement paranoïaque avec des dépenses de mes droits d’auteurs dans des détectives privés parce que je me sentais suivi, on voulait m’assassiner. J’ai arrêté de boire 8 mois après la sortie du disque, j’ai arrêté en fait quand j’ai décidé de vivre ma vie avec Romane. Pierre : Tu pêtes la forme là ? Renaud : A l’époque je dormais 12 heures par nuit, j’allais me coucher crevé et je me réveillais fatigué… depuis 3 ans, je me couche à 2 heures en pleine forme, je m’endors en 15 secondes et je me réveille à 7 heures en pleine forme ! Quand je parle de mon bonheur aujourd’hui, j’ai toujours l’impression que les gens pensent que j’ai vécu toute ma vie malheureux mais non : j’ai vécu 20 ans de bonheur et de passion amoureuse et familiale auprès de mon ex et de ma fille. Je n’ai vécu que 3 années noires sur ma vie. Pour certains, cela s’étale sur 30 ans, moi ça été regroupé sur 3. Globalement j’ai été comblé par l’amour. Je veux aussi par ce livre, rendre hommage aux gens qui m’ont soutenu pendant cette période et ça se termina quand Romane a poussé la porte à tambour de cette Closerie des Lilas où nous nous trouvons.