Renaud - Chronique Album "Concert Bercy" - Pierre Derensy
Je déteste les madones comblées par leurs enfants, qui nous font partager leur bonheur dans un wagon saturé. Il me faut rapidement une cigarette pour couper court à ce diktat de la femme épanouie par sa marmaille, en voyage d’affaire. Coulé pour coulé, je vais l’asphyxier pour qu’elle se taise.
Moi, je ne veux parler à personne. Je ne veux pas partager ma joie. Je suis un égoïste centriste. Tout pour ma gueule. Là pourtant, j’ai des volatiles qui piaillent dans mon cœur, car je me fais conduire vers le chanteur énervant, qui l’est beaucoup moins que ces 4 représentants d’une France bleu-blanc-ségo.
Il est 12 h et je file sur Bercy. Pas le ministère mais le POPB. « Palais Omnisports » pour cet athlète des bars parallèles, ils ne pouvaient pas trouver meilleure résidence. En règle générale, j’ai quelques prédispositions pour lui ravir la médaille d’or de pilier de bistrot mais là je reste sobre comme un chameau pour profiter du spectacle. De plus, mon budget serré et la bière à 5 euros condamne mes chances. 20 h 30 : super bien placé, positionné en sniper pour en prendre plein les oreilles et les yeux, je profite de ma chance en mode panorama.
Je remarque qu’après avoir investi une place de village pour la tournée précédente, voici le gentil Séchan qui envahi et s’approprie les toits de Paris. « Rouge Sang » était son double blanc à lui, les concerts de cette année auront pour décor les cimes grises de la capitale, pour ce poulbot de Paname qui, plus jeune, se présentait au pied d’un arbre, c’est justice et preuve d’une adolescence éternelle.
Un petit clin d’œil de plus au dernier concert des Beatles, une photo sépia de Doisneau pour l’éclairage et un constat que la nuit, tous les chats sont gris et les renards ont 7 vies.
Le voilà, j’oublie la folle du train, mes problèmes de billet qui m’ont fait craindre le pire : c’est à dire de ne pas assister à cette dernière passe d’amour gargantuesque parisienne avant évidement de me retaper la cerise sur ses chansons en le retrouvant en province. Le drapeau noir flotte sur la marmite et les cheminées ne fument plus. On se rend compte d’ailleurs qu’il a stoppé ou diminué la clope car Renaud n’a jamais aussi bien chanté.
Oui il chante ! (il y a 3 ans il parlait fort juste remis depuis peu sur la bonne voie). Hé bien là j’assume. Bluffé en ouverture avec « Malone ». Fini « Pochetron », plus d’actualité et c’est tant mieux.
La musique est un art mineur. Majoré de ce constat, c’est aussi le meilleur moyen de retrouver les siens. Renaud repique à ses balades irlandaises, notamment avec un gai « Sir » multi-instrumentiste qui s’appelle Geoffrey Richardson (cf Marchand de Cailloux) et un joueur de pipes Ronan le Bar (déjà entendu chez Eicher, comme quoi dans ma vie tout se tient).
Soudain avec ce climax particulier et quelques autres musiciens tout aussi bons, la musique eighties de Bucolo devient merveilleuse et les mélodies d’Alain Lanty douces et gracieuses prennent des élans pour sauter les précipices. Aucune track-list dans cet article, aucun démontage de chapiteaux en dévoilant certains secrets de fabrication du spectacle. Juste : si vous aimez : il faut y aller. Parfois ça nostalgise et les larmes montent aux yeux mais ce sont des larmes de joie alors encaisse et soit fort comme un être humain qui prend du bon temps.
La canaille n’a pas encore tiré sa révérence même s’il se la joue Sardou ou Brel, je mise ma chemise qu’il pourra jamais nous quitter ou alors, ce serait trop dur pour lui comme pour nous, cela signifierait aussi que je me serais trompé sur le lascar et je ne veux pas me tromper.
Vu la qualité du spectacle, il a repris goût à la vie (merci « la blonde »), il nous lègue quelques miettes, non : des tartines entières beurrées de son bonheur qui contenterait pour une bonne année le plus rassasié des hommes. Ca ne gave jamais l’estomac, mais ça rempli le cœur de joie.
Car chez Renaud, quand on aime on ne compte pas : on partage. Cela permet aussi de s’imaginer que la vie est belle même avec une matrone et quelques moutards dans un TGV.
Je parie que dans quelques années, eux aussi se souviendront du sirop de la rue, des oiseaux, de la terre et de Renaud.