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Interview

Renan Luce - Interview - Pierre Derensy


Renan Luce commence à se tailler une jolie réputation. Ce petit ira loin. Il est déjà très haut dans la mêlée. Aux premières places grâce à des singles touchants, qui parlent de voisines, de chiens mouillés, de feuilles blanches pour nuits noires. Dans la chanson française, son style qui se rapproche des peintres de la vie particulière, que sont Thomas Fersen ou Alexis HK, détonne et innove tout en respectant les mythes. Rencontre avec lui à la maison folie de Lille-Moulins. Lieux sympathiques où il donne un concert le soir même.

Pierre :
Vous venez de fêter votre anniversaire, est ce l’un des plus beaux vu que l’album marche bien ?
Renan Luce :
C’est vrai qu’il avait une saveur particulière cet anniversaire. Surtout qu’avant hier, j’étais sur le tournage d’un clip et que je l’ai fêté avec les gens avec qui je bosse. Le seul hic c’est que je rentrais à peine du Canada, que j’enchaînais avec le clip et donc j’étais épuisé.
Pierre :
Le goudron et les plumes étaient réservés aux tricheurs alors pourquoi en mettre sur votre guitare ?
Renan Luce :
C’était l’idée de faire un clin d’œil à ces tricheurs. Ca collait bien au fait que je racontais plein d’histoires. Qu’il y a beaucoup de mensonges dans ces chansons et des personnages solitaires à qui il arrive des destinés particulières comme on peut le voir dans les westerns.
Pierre :
C’est tout de même un crime de mettre cet alliage sur une guitare ?
Renan Luce :
Il a été sympa le mec qui nous a prêté sa gratte. Mais on l’avait vraiment bien protégée, je vous rassure, elle s’en est sorti.(rire).
Pierre :
Se repentir, c’est ressentir le regret d’une faute ?
Renan Luce :
Il y a le fait d’admettre et d’avoir conscience de ce qu’on est. Parfois on est capable des pires atrocités donc le fait de prendre du recul et de savoir qui on est et ce que l’on a pu faire, c’est déjà un premier pas vers le mieux. Se repentir n’est franchement pas quelque chose de facile à adopter comme philosophie.
Pierre :
Un mec un jour a déclaré : Repentez-vous, car le royaume des cieux est proche." (Matthieu 4:17) alors avec ce premier album : Renan Luce est un peu au paradis des anges à plumes ?
Renan Luce :
Il n’y a aucun clin d’œil à l’au delà. Je suis quelqu’un de terrien, de rationnel… pour l’instant (rire)
Pierre :
Tout est parti de 10 ans de conservatoire, c’est sur ces années que vous avez assis votre style ou c’est en écoutant dans votre chambre, des chanteurs autodidactes ?
Renan Luce :
J’ai plutôt tendance à me considérer comme un autodidacte. Même si en conservatoire, j’ai appris des choses comme les instruments ou le solfège, je n’étais pas quelqu’un de super assidu. La manière de faire ne collait pas avec ce que j’étais. Même pendant cette période, je grattais la guitare, je chantais des chansons : c’était ça qui me portait. J’ai aussi voulu suivre le parcours de mon grand frère. Les gens que j’écoute ou que j’écoutais étaient pour la plupart des autodidactes.
Pierre :
Quels étaient ces disques ?
Renan Luce :
L’éternel Brassens qui est celui que j’écoutais petit comme on écoute des comptines et que j’écoute aujourd’hui comme on écoute un poète. C’est un artiste que j’ai écouté sur la plus longue période. Brel aussi. Nougaro. Ces gens qu’on écoutait à la maison. Les Beatles, les Doors. Autour de 17 ans, j’ai découvert des artistes comme Miossec ou les Têtes Raides. Ces gens qui me donnaient envie car ils se présentaient simplement. En décalage de la variété française. Je me retrouvais dans leurs énergies. Il n’y avait pas besoin de devenir Johnny pour faire de la chanson.
Pierre :
Vous parlez dans vos chansons de gens normaux, mais avec un décalage ?
Renan Luce :
Oui, si je parle d’un magasin dans « Camelote », je fais intervenir un mariage par exemple.
Pierre :
Envisagez vous vos chansons comme des costumes à endosser sur 3 minutes et des secondes ?
Renan Luce :
Je ne suis pas sur de me prendre pour un personnage même quand je les chante. A l’exception de « Repenti » ou c’est rigolo de se prendre pour la personne. Mes chansons sont souvent à la première personne mais c’est juste pour être plus efficaces. Pour que le public puisse voir le personnage.
Pierre :
Quand vous envisagez vos chansons, vous partez d’un sujet pour ensuite suivre le fil des rimes ou alors la musique vous porte à fabriquer le texte ?
Renan Luce :
Pour l’écriture c’est exactement ça : je pars d’une idée, de 2 rimes au début et ensuite je me laisse embarquer par les rimes. Même si ça m’embarque ailleurs que sur l’idée de départ. C’est comme un puzzle. Le but à la fin, c’est que ça semble couler de source. Même si dans mon coin c’est une série d’essais.
Pierre :
La musique n’est jamais présente avant le texte ?
Renan Luce :
Si, par exemple « Les Voisines » c’était une mélodie avec un autre texte. « Mes Racines » également. La plupart du temps, maintenant j’écris un bout de chanson et je cherche la mélodie adéquate. Je fais ma petite cuisine.
Pierre :
C’est un travail de longue haleine ?
Renan Luce :
Pour la mélodie c’est instinctif, même si parfois cela peut mettre du temps pour coller avec l’histoire. Mais l’écriture, oui cela me demande beaucoup de temps. Pour trouver la forme… mais c’est l’étape que je préfère.
Pierre :
C’est dans la satire que vous vous sentez le mieux ?
Renan Luce :
Y a de ça. Je me dis jamais je vais être satirique. Mais c’est surtout une forme de pudeur. Je me dégage de toutes responsabilités. J’aurais du mal à résumer en 3 minutes quelque chose de lourd. J’aurais trop envie d’être honnête, sans faire de slogans. Si j’étais plus directe, je ferais des chansons de 20 minutes. La satire est très poétique. Elle élude certaines choses.
Pierre :
Les nuits blanches, vous les avaient vécues avant la sortie de l’album quand il fallait de l’inspiration, ou vous les avez maintenant que ça marche bien pour vous ?
Renan Luce :
Je suis assez sujet à l’insomnie. Souvent je commence à m’endormir et là je pense à quelque chose, qui s’emballe et ça devient l’enfer. Pour me calmer, j’essaye de m’imaginer que j’ai des pouvoirs magiques et que je dois trouver lesquels avant de m'assoupir. Bref des trucs super légers (rire).
Pierre :
« Je suis une feuille » est très particulière comme chanson ?
Renan Luce :
C’est le titre le plus vieux de l’album. C’est celui où j’ai choisi un mode différent d’écriture. Faire parler un objet c’est oublier de parler de moi-même.
Pierre :
L’arrivée de Jean-Louis Piérot à la réalisation de votre disque a été déterminante ?
Renan Luce :
Avant de le rencontrer j’ai bossé beaucoup les arrangements. Je m’amusais à faire des contre-chants à la guitare acoustique puis avec mon ordinateur, je rajoutais un trémolo, un son électrique et je trouvais que ça marchait vraiment bien. Quand je l’ai rencontré, je voulais qu’il y ai un coté folk, les sons chauds de la guitare. On aurait pu aller plus loin mais je ne souhaitais pas que ce soit un pastiche d’Enio Morricone. Il fallait que ça reste léger.
Pierre :
Le fait d’avoir cette idée de dépouillement est venu de vos moyens financiers limités pour un premier album ou cela sert mieux vos titres ?
Renan Luce :
C’est vraiment un choix. J’aurais pu avoir un orchestre. Mais je trouve que c’est casse gueule. Je ne voulais pas que ça devienne lyrique et donc sans intérêt. Je ne voulais pas de différence entre ce que je proposais sur disque et ce que j’allais proposer sur scène car là, en l’occurrence, faire venir un orchestre philharmonique sur scène aurait été financièrement difficile (rire). C’était important que cela reste sobre.
Pierre :
Aviez vous l’impression avant de faire ce disque, que tous vos titres étaient des tubes en puissance et qu’ils allaient infiniment parler aux gens ?
Renan Luce :
J’avais beaucoup de soutien, les gens étaient enthousiastes. Après encore aujourd’hui, j’ai pas l’impression d’être dans un tourbillon. C’est petit à petit que les gens découvrent Renan Luce, par le bouche à oreille. Par contre, j’ai conscience que mes propos sont clairs et compréhensibles par le plus grand nombre et ça, assez vite quand j’écris une chanson. J’aime l’efficacité sans aller à l’encontre de la qualité ou de la profondeur.
Pierre :
Votre disque n’est pas générationnel, on aurait du mal à le dater de 2007 ?
Renan Luce :
Ecoutez j’en suis content, mais ce n’est pas un choix. Tant mieux. Ce sont justes des petites comptines.
Pierre :
Il est aussi apprécié des puristes, des branchés, des gens lambda, de la presse régionale ou de la presse ciblée ?
Renan Luce :
Y a même des gens plutôt sévères dans le milieu qui en ont parlé de manière sympa. Je me soucie un peu de la critique, c’est pas une question d’ego mais je pense que n’importe qui s’en intéresse. Les journalistes, vous avez des clefs pour analyser différemment du grand public. Ca n’a pas plus de valeur que les paroles du public mais c’est intéressant de voir ce que les professionnels pensent. Surtout que mes chansons, je les ai écrites avant d’avoir une maison de disque, je chantais quand je trouvais des plans. Je ne me demandais pas quoi faire pour plaire à la critique ou quoi faire pour passer à la radio.
Pierre :
Ce n’est pas anodin si vous avez gagné le prix du public au festival de Montauban ?
Renan Luce :
J’en suis très fier. Ce festival «Alors Chante » était une super semaine avec cette apothéose en forme de prix. Les gens, pour pouvoir voter, ont du écouter tous les concerts.
Pierre :
Vous rentrez du Canada, alors comment trouvez vous nos cousins ?
Renan Luce :
J’ai adoré ! j’y suis allé sans savoir à quoi m’attendre. Pour le coup, ce fut le tourbillon, j’ai du faire 40 interviews, des super papiers, deux mini concerts avec 300 personnes dans une salle de 200. Du coup, je vais y retourner. Y a un coté qui coule de source là bas. Ici on a l’impression de ne pas savoir trop ce qui se passe, les médias se regardent un peu les uns les autres, se demandent si c’est bien d’en parler, etc. Là bas : les médias te donnent tout de suite un retour. Si ça plait, si c’est sympa, ils te le font savoir.
Pierre :
Votre passage sur Internet avant d’être connu, ce buzz autour de votre nom vous a beaucoup aidé ?
Renan Luce :
Oui. Le bouche à oreille a vraiment bien fonctionné pour remplir des salles. Maintenant je vais sur les forums. Je mets en concert des visages sur des noms. C’est hallucinant de voir que même les enfants maintenant sont au courant de tout grâce au net. Moi, à leur age je regardais des dessins-animés et eux maintenant me commentent mes concerts ou mon album. Pour le Canada, Myspace par exemple m’a beaucoup aidé.
Pierre :
Pas de regret d’avoir quitté les études de commerce ?
Renan Luce :
Houla non ! En quittant cette école, j’ai travaillé dans la musique dans un milieu que j’aimais : c’est à dire chez un producteur de concert. Et déjà là, j’étais pas très bien. Allez au bureau, tout ça. Là j’ai la vie dont je rêvais. Etre dans le camion avec mes copains musiciens. Rencontrer des gens. Cela répond à mon besoin de curiosité, d’ouverture aux gens.