Stephan Eicher - Chronique Album "Eldorado" - Pierre Derensy
Certains traversent l’Atlantique à la rame, d’autres par avion supersonique, Stephan Eicher lui, fait cette traversée à la nage. Il lui aura fallu trois ans, après un circuit et une virée en voiture taxi sur le vieux continent du nord au sud, pour mettre les pieds sur les plages des Amériques avec « Eldorado ».
On le croyait coulé, déboussolé en capitaine abandonné par le système qui ne reconnaît plus les siens et la valeur de leur travail. Lançant des messages à la mer pour trouver la bonne vague et l’inspiration. Notre Robinson Crusoé un peu échoué sur le rivage après tant d’efforts (remercié par Virgin) et de multiples projets (tournée solo avec un ordinateur, reprise de Brassens) : trouve le moyen d’accueillir l’auditeur dans une cabane bien ficelée.
Bref : un nouvel opus de grand standing sans enluminures chargées aux murs. A l’étonnement général, il réussi encore à surprendre et beaucoup mieux à retrouver la lumière de ses meilleurs albums en se réinventant un style. « Eldorado » est né dans le silence de la nuit, quand il faut jouer à l’économie, utiliser le calme et se servir de la sérénité de l’obscurité.
C’est aussi la rencontre avec Frédéric Lo (Daniel Darc) qui donne la couleur et le ton de l’album pour sa partie « française ». Réussissant merveilleusement à garantir un « son Eicher » : mélangeant au besoin l’électronique et l’organique, une instrumentation des grands espaces sur un timbre poste de microprocesseur, les guitares bluesy et la batterie feutrée. Des titres jazzy en bernois (le magnifique « Charly ») jusqu’au touchant « I cry (at Commercial) », Eicher est polyphonique et polyglotte.
La présence de Paul Niehaus (le pedal steel de Lambchop) et Martin Wenk (la trompette de Calexico) rajoute une touche chromatique à cette atmosphère légère et romantique. Cette renaissance artistique passe aussi par quelques nouvelles têtes comme Raphaël, Mickaël Furnon (Mickey 3D) ou le romancier Martin Suter et d’autres compagnons de route du Suisse, toujours fidèles au poste comme Reyn ou Philippe Djian, présent depuis des lustres maintenant, qui se permet même le luxe de composer un titre : parole et musique s’intitulant « Pas Déplu », qui nous rappelle le temps de « My Place ».
«Confettis » magnifique chanson qui brûle les lèvres et la voix d’Eicher avec son banjo de far-west en surprendra plus d’un, « Voyage » ou « Rendez-Vous » complètent ces 11 chansons. Pas besoin d’en rajouter. Un peu moins de 40 minutes de bonheur. Il sait où il va, il sait où il nous emmène à grand voile : dans une sorte d’Amérique parfaite. On a tant critiqué ce chanteur et ce continent pour ne pas applaudir à la (re)découverte de ces territoires oubliés et pourtant si féeriques.