Ce grand gaillard nordique, imposant comme un viking mais doux comme un agneau, pourrait facilement se faire passer pour un grunge en activité mais contrairement aux apparences, la musique qu’il offre dans « Going To Where The Tea Trees Are » est d’une douceur à apaiser le plus nerveux des scandinaves. Ancien mercenaire de la scène française et plus souvent du réseau Tricatel (Houellebecq, Valérie Lemercier, AS Dragon), sa carrière a décollée à partir d’un simple 45 tours pressé en vinyle qui lui a permis de se faire reconnaître comme un artiste à part entière, et non pas comme un second couteau abonné aux fonds de scène. Véritable compte de fée qui dure maintenant sur la totalité de son album.
Pierre : Cela me fait plaisir de vous voir à Lille, je trouve que cette ville vous ressemble ? Peter Von Poehl : C’est vrai, je me sens très à l’aise ici. J’habite à Berlin et je trouve que c’est très proche, à une échelle moindre. J’adore l’architecture des villes du Nord. Pierre : Ca fait longtemps que vous sillonnez les salles de concerts derrière d’autres comme Burgalat ou Houellebecq, était-ce facile d’être sur le siège passager et non pas à la place du conducteur ? Peter Von Poehl : C’est bizarre parce que j’ai vraiment fait attention pour éviter justement d’en arriver à penser ça…mais à un moment donné c’est plus fort que toi… L’activité d’employé dans la musique, c’est quelque chose que je fais depuis pas mal de temps. J’ai fait beaucoup de projets avec Burgalat, j’étais content de faire ça. Mais à un moment donné, j’ai eu l’idée de faire un disque à moi. Au départ je partais dans le studio où je vais tout le temps en Suède quand j’avais un peu de sous pour enregistrer 2-3 chansons avec mon pote Christopher. Il y a 4 ans j’avais un grand nombre de chansons que je trouvais magnifiques, mais qui n’ont pas trouvé preneur. Finalement je me suis rendu compte que ce n’était pas si facile de devenir artiste à part entière. Je me suis donc dis, tant pis je vais bosser uniquement pour les autres. J’adore faire ça car tu as tous les bon côtés et pas du tout les trucs chiants… et surtout on est en quelque sorte déresponsabilisé. Quand tu vois la production de disque, tu te dis que tu n’as aucune raison d’enregistrer le tien et qu’à partir du moment où tu gagnes bien ta vie derrière quelqu’un d’autre pourquoi vouloir se faire mal ? (rire) Pierre : Alors pourquoi ? Peter Von Poehl : C’était frustrant cet échec tout de même… J’en parlais parfois à des amis, il y a un pote un jour qui m’a proposé de jouer à la guitare mes propres chansons, mais je ne voyais pas l’intérêt. C’est vrai : seul à la guitare : c’était déjà pris par des gens qui l’ont fait dans le passé et de manière beaucoup plus impressionnante que moi, je me disais qu’il vallait mieux rester sur eux que sur moi ! Pierre : Vous étiez trop modeste ? Peter Von Poehl : Même pas (rire) j’étais plutôt réaliste ! finalement j’ai fait ces concerts en toute discrétion, de manière simple, c’était très flippant mais franchement je le remercie beaucoup, car cela m'a aidé à trouver de quoi mon disque allait parler, quelles allaient être les chansons et leurs styles. Il m’a fallu passer par plein d’étapes pour pouvoir arriver à sortir ce disque. Je n’avais vraiment plus d’autres choix, il me fallait tenter le truc. Pierre : C’est une question de choix ou c’est poussé par l’écho de fans sur les blogs et sites internet musicaux qui ont entendu ce single sorti de nulle part, que tu ne destinais peut être pas aux médias et qui offre d’ailleurs le titre à ton album ? Peter Von Poehl : C’est curieux quand tu penses que pour ma part je n’avais sorti qu’un 45 tours. Quand tu sais que le format vinyle est le moins compatible avec le monde d’internet et que tu te retrouves à recevoir des mails de partout jusqu’en Californie pour commander ce disque, tu ne comprends vraiment plus rien (rire). Apparemment de nombreux DJ dont les plus célèbres, avaient trouvé mon petit disque et en étaient totalement fous ! Mais j’avais déjà enregistré tout le disque avant que ce titre ne passe en radio. Cela n’a rien changé à l’idée de le faire ou pas. Pierre : Est ce que votre disque est un doux descendant de la maison de Carl Larsson à Sunborn ? Peter Von Poehl : C’est marrant que tu parles d’eux, je suis assez fan de toute cette bande de peintres suédois. C’était assez violent leur rapport à la peinture, ils étaient capables de se faire du mal pour arriver à leur but. Je t’avouerais que j’ai un peu le même rapport avec la musique. Je comprends leur démarche. Ce disque est en plus la recherche en quelque sorte d’une maison. J’ai travaillé avec Vincent Delerm et son père a justement écrit un livre sur ces peintres. Pierre : Vincent Delerm dit de vous que vous lui laissiez le droit à l’erreur, êtes vous d’accord ? Peter Von Poehl : En studio je fais tout pour ça. Dans le processus je fais tout pour être dans le naturel et l’instinctivité. Si ce n’est pas bien on le refait, si c’est bien on le garde. Vincent était très choqué au début. Tous ses précédents disques étaient très écrits. Moi je ne fais pas de maquette. Mes musiciens n’entendent jamais rien de la musique du chanteur avant de rentrer en studio. Je ne crois pas qu’il soit nécessaire de rester des semaines à tergiverser. Pour moi ce n’est pas bon ! (rire) Pierre : Vous ne vous voyiez pas au sein d’AS Dragon, c’était trop cadré rock pour vous ? Peter Von Poehl : J’étais surtout dans AS Dragon pendant leur période backing band, lorsqu’ils étaient derrière Houellebecq ou Burgalat lui même. Parallèlement je travaillais sur d’autres projets personnels. A un moment donné, ils ont voulu faire un vrai groupe. Moi je ne désirais simplement pas du tout faire ça. Pierre : Quand on écoute votre disque, on ne sait jamais si le son est organique ou s’il est tiré d’un ordinateur ? Peter Von Poehl : Il n’y a pas un seul synthétiseur. En l’occurrence il n’y a que des instruments électriques et mécaniques. Sur la pochette tu vois un travail de ma sœur. C’est un dessin d’1mètre 70 et elle a vachement ce côté de quelque chose qui est à la fois industriel car les flèches sont toutes pareilles mais quand tu regardes de près tu vois quelque chose de bancal. J’aime ce sentiment de regarder quelque chose de loin qui paraît évident comme mes chansons qui font toutes 3 minutes 30, le format idéal d’une pop song à la con en premier plan, le format le plus basique et ensuite quand tu te rapproches tu te rends comptes que c’est beaucoup plus bizarre et étrange. Pierre : Vous avez aussi un rapport particulier avec les cuivres, ils font ressortir le disque dans vos origines nordiques ? Peter Von Poehl : Au départ tous mes arrangements partaient dans tous les sens. Mais au final tout le texte parle de la même chose. J’ai un drôle de rapport avec mon pays. Je n’y vis plus mais j’y suis toujours, ce n’est pas ma maison mais je le connais hyper bien. Mon disque était une sorte de fantasme de ma patrie. Les cuivres c’est l’armée du salut suédoise, dans les mélodies tu retrouves les chants de Noël que je chantais à la choral de l’école quand j’étais gamin. Une tradition de chants populaires qui m’a téléguidé lors de l’enregistrement. Pierre : Ce disque doit être difficile à transposer sur scène ? Peter Von Poehl : C’est franchement pas évident mais au final on s’en fou un peu, tu peux le jouer à la guitare ou avec une tonne de monde. Dans la tournée là avec Phœnix c’est une petite formation à 4 : bassiste, saxophoniste, un organiste et un batteur et moi bien sur (rire). Pierre : Le Mummenschanz (musicien bouffon itinérant) est-il satisfait aujourd’hui ? Peter Von Poehl : Au départ je voulais appeler le disque de cette manière. C’est un peu Dylan. C’est hyper sain comme démarche de savoir que ce n’est que de la musique et qu’il n’y a pas d’enjeux primordiaux derrière mais juste de bonnes chansons.