Rencontrer Nosfell est une expérience particulière. C’est découvrir l’Amérique avec Christophe Colomb ou tutoyer un démiurge qui se serait crée un monde fantastique. Une personne magique qui vous expliquerait son cheminement, ses cartes et ses relevés topographiques sous forme de musiques, de chants et d’improvisations. Ce pays, ce continent, cette chimère, trouve sa forme définitive dans son 3ème et dernier album qui s’intitule tout simplement « Nosfell ». Comme un ciment à une nouvelle république déjà évanouie, laissant par delà les contrées une dernière trace d’espoir. Voilà donc un disque qui va plaire aux enfants du rock et un artiste qui plait déjà aux enfants de la balle.
Pierre : Une de mes connaissances, avec qui je partage des goûts musicaux, m’a obligé un jour à écouter tes premiers disques en me certifiant que je serais sous le charme, mais après écoute je n’adhérais toujours pas… Nosfell : «Pourquoi ? Dis moi pourquoi car cela m’intéresse énormément.» Pierre : En gros et large : je ne trouvais pas mon compte dans ton univers, je n’en avais pas les clefs littérales. Cependant comme c’est une personne très persévérante elle m’a obligé à venir te voir en concert et là tu m’as scotché ! Après naturellement j’ai pu rentrer dans tes disques et les comprendre. Nosfell : «C’est ce qu’on me dit assez souvent. Que mon langage inventé rend les choses plus difficiles. Mais j’ai eu besoin de passer par là pour faire de la musique. Cela fait parti de moi, cela vient d’une histoire personnelle. Je ne me suis pas posé la question de savoir si ce médium d’écriture employée irait contre une exposition artistique. Je suis né de parents émigrés, le langage a toujours été différent chez moi, mon père était polyglotte et m’a laissé ce truc là avec les langues. C’est un moyen de communication que lui entretenait avec moi, car cela allait malheureusement un peu, que dans un sens. Je n’avais pas d’ennui à intégrer ce concept dans un environnement artistique car en France on est le pays du surréalisme, du lettrisme, de toute cette démarche sur le langage. C’est tout ce que j’aime ! Le travail sur le sens d’un mot, sur le phonème, qu’est ce qui peut évoquer de manière sensoriel un auditeur….» Pierre : Tu passes donc en premier lieu par le langage pour raconter des histoires ? Nosfell : «C’est surtout viscéral. J’ai besoin de ranger, de me mettre devant ces personnages. J’ai besoin un moment de savoir pourquoi je cherche à raconter l’imaginaire plus que le réel. Peut être ai-je trop lu le manifeste du surréalisme ce qui m’a conforté dans l’idée de m’effacer derrière un travail artistique (rire). Effacer ma personne en réaction à d’autres chanteurs dont on met la personnalité en avant par rapport au contenu artistique. Je voulais un pseudo, un pseudo de mon pseudo, bref une mise en abîme irréel. C’est ma manière de trouver un certain équilibre. » Pierre : Peux tu m’expliquer pourquoi ce mélange des genres dans ta musique ? Nosfell : «J’ai toujours pris en compte que de faire de la musique amplifié, et encore plus de la musique enregistré, c’est quelque chose de très neuf. Dans la vie des hommes cela fait à peine 100 ans ; alors que la musique pour elle-même existe depuis la nuit des temps. Je prends ça en compte car ce fut seulement nos grands-parents qui ont pu accéder à ce qu’on appelle un disque. Peut être que j’essaye trop de voir le coté anthropologique des choses (rire). Du coup, il y a une forme de modernité qui s’est crée, un croisement de genres. On a fusionné les arts. Il n’y a plus de limites quelque part. Tu peux prendre l’avion et aller étudier la musique en Inde ou apprendre la danse en Amérique du Sud. Plus que le coté technique de la chose ce sont les sensibilités différentes résultant de tout ça qui me passionnent. Cette sensibilité il faut à un moment la régurgiter pour créer soi même à destination des autres. Dans ma cour de lycée quand un groupe de rap s’alliait à un groupe de rock cela sonnait différemment mais cela sonnait bien. Esthétiquement cela restait segmenté, un riff de guitare et un rythme de hip-hop. Ecoutes les I-Pod des gens : ils écoutent de manière complètement désordonné. Ce n’est pas une mauvaise façon d’écouter de la musique. Je n’ai aucun problème à faire une balade à la guitare folk en faisant du finger piking et derrière envoyer le bousin avec une grosse guitare.» Pierre : Pour moi, te voir sur scène est une expérience charnelle… Nosfell : «Comme pour tout musicien, la scène est un exutoire. En même temps il ne faut pas que cela soit gratuit. Il faut que cela reste sincère, transparent et maîtrisé. J’ai besoin à un moment donné de passer par la violence.» Pierre : Etre connu en priorité par la scène, change t’il le processus de création de disque ? Nosfell : «Ca a tendance à pétrifier (rire). J’ai peur au moment de rentrer en studio. Il faut que je me détache de ces frayeurs pour rester le plus libre possible. La notion de liberté est très importante à tous les niveaux de la création. Le jeu de l’enregistrement me passionne : je veux être généreux et impliqué du début à la fin. J’aime maîtriser aussi l’idée d’un point de vue esthétique quand je pense à un disque. Après : à un moment donné tu es obligé de fier le truc et cela te dépasse complètement : tel disque est il passéiste ou avant-gardiste ? Il faut dépasser ces questions pour essayer d’être le plus immédiat possible. » Pierre : Etre en studio c’est une performance ? Nosfell : «Une performance qui n’a rien à voir avec la performance scénique. C’est physique. Par contre comme je recherche à être naturel, ne cherchant pas à modifier ma voix mais la voulant très sèche et brut, je vais parfois sur des distorsions pour amplifier le propos mais jamais sur des choses abscons comme des harmoniseurs. En studio tu dois te démerder avec la stéréophonie : gauche-droite. » Pierre : Inventer un monde comme tu le fais ne te donne il pas l’outrecuidance de te croire démiurge ? Nosfell : «Non car le personnage de cet endroit que je décide d’incarner n’a aucun pouvoir dans ce pays, il n’est pas maître, pas dirigeant. Il se cherche lui-même et cherche à comprendre les autres. Ce personnage c’est moi. Il est au service de ma mutation. Il me permet de trouver d’autres couleurs. Au début je voulais travailler sur la voix sans être dans la démonstration. Pour être généreux et transparent encore une fois. Aller dans l’aigu ou le grave en utilisant un personnage qui joue un rôle pour décrire différents personnages. Une sorte de petit théâtre en lui-même sans aller dans le guignol. » Pierre : Ta voix tu la travailles ? Nosfell : «Je suis un autodidacte qui a développé des techniques au fur et à mesure. Des fois je rencontre des profs de chants qui me montrent des choses. Je suis assez fan du travail sur soi. Je fais pas mal de yoga, je me concentre sur mon corps en essayant de chercher des sons sans me faire mal. J’aime voir ce que l’on est capable de faire avec cet instrument primitif qu’est la voix. J’écris, je compose avec juste une guitare et ma voix, c’est naturel donc de le transmettre de cette manière.» Pierre : Ce dernier disque semble conclure 10 ans de travail mais je le vois comme un autre chapitre sans forcement le mot « fin » mais plus comme une transition ? Nosfell : «J’avais besoin de terminer quelque chose. Cette sensation de conclure pour aller vers. J’ai d’autres clefs à donner cependant. Ce disque est un relais vers une autre partie de moi qui va grandir ailleurs.» Pierre : Plus que dans tes autres disques : tout part du cœur ? Nosfell : «Quand j’ai fais le premier disque j’étais dans une dynamique de concerts dans des bars ou des clubs. Parfois même à l’étranger car ma vie m’a poussé à vivre au Japon. Il y avait une excitation. Un coté dogmatique où je ne désirais pas de guitare électrique. Je voulais être différent. Le deuxième disque j’étais dans une dépression folle. Je voulais faire un objet qui casserait l’image qu’on avait de Nosfell. Même si le succès du premier fut modeste je ne m’attendais pas à cet engouement. J’étais heureux que les gens viennent vers moi mais je voulais brûler les étapes, aller vers des esthétiques que je ne maîtrisais pas réellement. J’étais dans une fragilité extrême qui m’empêchait d’être la personne que je désirais : c'est-à-dire être un homme qui joue pour les autres en respectant chacune des individualités. Psychologiquement j’ai fais ce deuxième album grâce à mes copains. Sur celui là on s’est amusé, j’ai appris pleins de choses. » Pierre : Tes goûts musicaux ressortent ils sur les 13 titres ? Nosfell : «J’admire beaucoup les artistes qui sont capable de rendre hommage aux musiques qu’ils aiment tout en y mettant leur propre personnalité. Mes collègues et moi nous aimons les musiques improvisées, les musiques minimalistes de Cabaret Voltaire à Pascal Comelade. Mais aussi John Spencer ou les Queen of The Stone Age. Neil Young, le hip-hop.” Pierre : Le son qui en résulte sonne quand même assez 70’s ? Nosfell : «Je crois qu’Alain Johannes producteur de l’album et bassiste des Queens aime cette période effectivement (rire). Alain est un mec qui fait de la musique depuis tout petit, qui a grandit en Amérique du sud, qui vit aux Etats-Unis et a connu, à 47 ans, cette période. » Pierre : Musicalement tu as réunis les 5 continents ? Nosfell : «Je ne sais pas si je l’ai fais mais j’aimerais vraiment trouver le moyen de marier toutes ces musiques. » Pierre : Peut on dire que Nosfell c’est un groupe de 3 ? Nosfell : «Absolument ! Nosfell c’est Pierre Le Bourgeois, Orkhan Murat et moi. On est un trio. Orkhan notre batteur est plus qu’un batteur : c’est un arrangeur, une encyclopédie du rock n’roll. » Pierre : Est-ce difficile de s’intégrer dans une famille comme la votre et là je pense à Alain Johannes ? Nosfell : «Autant en tournée c’est plus compliqué car les régisseurs doivent assimiler qu’on est pote depuis super longtemps. Par exemple, mon ingénieur du son est un ami d’enfance. C’est dur parfois d’arriver dans un truc ou il y a une certaine symbiose. Avec Alain c’était plus simple car il a une faculté d’adaptation humaine et musicale. » Pierre : Peux tu me dire pourquoi tu as invité Daniel Darc sur un titre et Brody Dalle (chanteuse des Distillers) et Josh Homme (chanteur des Queens) ? Nosfell : «Daniel j’admire sa manière d’agencer les mots. Dire tant avec si peu de mots. Pierre Le Bourgeois joue pour lui sur scène depuis 1 an maintenant donc ça nous a aidé à nous connaître. En plus j’avais participé avec lui à une commande des Eurockéennes de Belfort avec Didier Wampas, Camille, Olivia Ruiz, Ann Pierlé, lui et d’autres. Nous étions restés avec Didier et Daniel à faire les cons. J’étais en pleine préparation de mon disque. Je voulais que ce disque soit en contraste avec l’orchestre philharmonique qui va accompagner le livre (mon autre projet) puisque les 2 sortent en même temps. J’avais donc mis les balades de cotés pour éviter le disque atmosphérique. Comme j’écris d’abord les textes en français avant de les traduire dans ma langue, je me suis retrouvé avec pleins de chansons et je me suis payé le culot de proposer « La Romance des Cruels » à Daniel Darc. Il a accepté naturellement. On a fait une date à la cité de la musique où il m’avait invité avec Marc Ribot et deux jours après on était en studio ensemble. » Pierre : Et Josh et Brody ? Nosfell : «Brody va sortir un projet solo, elle venait de temps en temps chez Alain pour fignoler les voix. Alain avait l’air tellement content de jouer avec nous qu’il faisait écouter notre travail à tous ses amis. Josh et Brody ont voulu laisser une trace sur notre album. « Bargain Healers » je devais le jouer seul, il y avait un coté comptine comme j’aime, Orkhan et Pierre m’ont avoué qu’ils ne pouvaient pas apporter grand-chose à ce titre, et qu’il serait préférable que je bidouille dans mon coin avec Alain pour le terminer. Et Alain n’a rien trouvé de mieux que d’inviter ses comparses pour m’épauler (rire). » Pierre : Tout les artistes déclarent que c’est difficile de monter sur scène mais toi, avec ce que tu donnes, comment en redescends tu ? Nosfell : «Pour moi descendre de scène, c’est me taire, prendre une douche et dormir. Je ne peux rien faire après. Je suis vidé. Comme on n’écrit pas le spectacle mais vu qu’on écrit une scénographie, on est tous les soirs obligé de s’adapter aux formats imposés par la salle. On a souvent un morceau d’intro de prédilection et ensuite des moments d’improvisations entre tels et tels morceaux pour se forcer à repartir de zéro et voir ce que l’on peut créer de manière abrupte. C’est notre postulat de départ entre musiciens mais aussi avec l’éclairagiste ou notre équipe derrière la cabine son. On change la liste tous les soirs mais on veut rester cohérent. Tel climat un soir ou tel autre le lendemain. Un théâtre à l’italienne t’incite à être plus dans la danse. Quand tu es sur un festival et qu’ils sont tous ronds comme des cosaques tu t’imposes plus de tensions.»