Je ne peux pas vous assurer que l’on aura l’occasion d’écouter Ludo Pin sur les radios ou le voir en grande pompe dévaler les marches d’un plateau de télévision. Je ne peux que vous affirmer que son premier disque éponyme est frais, distrayant et pas banal. Ayant pris le luxe d’en faire un bel objet avec un projet créatif maîtrisé de A à Z, ce garçon arrive sur la scène des artistes indépendants : libre dans la tête et soucieux d’en faire profiter un maximum de gens.
Pierre : Est-ce que comme la majorité des ludo, tu détestes qu’on t’appelle Ludovic ? Ludo Pin : Assez en fin de compte. Je ne sais pas à quoi c’est dû mais on m’appelait comme ça quand on n’était pas content. C’est un prénom dur alors que sa contraction est beaucoup plus légère. Pierre : L’introduction musicale de « 3 secondes » me fait penser à ces musiques de films des années 80 comme celle du film « Que les Gros Salaires Lèvent le Doigt » de Philippe Sarde ? Ludo Pin : Je ne connais pas ce film mais je suis très flatté de la référence. Pierre : Tu es originaire de Sarcelle, peux tu me parler de ton parcours ? Ludo Pin : Grosso modo, j’ai commencé à faire de la musique à l’âge de 12 ans car j’avais des voisins qui étaient musiciens et me faisaient écouter beaucoup de musiques. Ils m’ont mis une guitare électrique entre les mains en me disant que c’était génial. Je m’y suis mis en jouant avec des copains puis après, au conservatoire pour avoir une formation plus solide. J’ai ensuite monté des groupes. Au début, nous faisions des reprises et très vite nous avons composé des morceaux, notamment avec mon frère qui est sur l’album, qui écrivait des textes. Il y a eu des groupes plus ou moins sérieux de formations totalement différentes : du rock, du reggæ, des choses tournées vers le hip-hop et ça a duré jusqu’à mes 20 ans. Quand j’étais en train de faire mes études, j’ai déménagé sur Paris et tous les groupes se sont disloqués. Je me suis retrouvé avec pas mal d’idée que j’avais dans le crâne et j’ai décidé de les produire moi-même. Je faisais mes arrangements sur mon 4 pistes. J’essayais tant bien que mal de donner des formes originales à mes chansons. Au fur et à mesure, je me suis mis à faire de l’informatique musicale et à accumuler les instruments comme les instruments joués. Pierre : C’est de là qu’est parti le projet Ludo Pin ? Ludo Pin : Oui je me suis choisi un nom, et j’ai tout de suite mis le doigt sur l’idée de faire un projet home-studio. J’ai écrit quelques morceaux dont « 3 secondes ». J’ai envoyé ensuite une maquette à quelques médias que je connaissais de nom. Des médias de proximité comme Radio Néo et quelques artistes dont Ignatus, qui a eu un coup de cœur pour mes maquettes et qui m’a filé, à partir de là, pas mal de coups de main. Il m’a fait rencontrer des gens, diffusé chez Nova, m’a fait rencontrer des gens de Louise Attaque. Tout c’est accéléré à partir de ce moment là. J’avais juste auto-produit un 45 tours de « 3 secondes » car je trouvais ça marrant de faire un contre-pied à la dématérialisation du disque. J’aimais aussi travailler sur l’aspect graphique car j’avais rencontré Arnaud Dufour qui avait accroché sur ce que je faisais et voulait s’occuper de mes visuels. 2004-2005 : j’ai commencé à faire pas mal de concerts. Au fur et à mesure, les choses se sont développées avec les maisons de disques, les tourneurs qui m’ont permis d’arriver à ce disque. Pierre : Tu as toujours eu foi en une carrière d’artiste ? Ludo Pin : Je me suis toujours imaginé ça depuis que j’ai commencé à faire de la musique. C’était une espèce de rêve d’ado. Vivre de ma musique et faire des concerts c’était un rêve, pourtant à coté, je faisais des études, ou des petits boulots mais ils étaient tous en relation avec le monde de la musique. C’était latent et toujours présent en moi. Mais quand j’ai réalisé ce rêve ce ne fut pas quelque chose de frontal. C’est un parcours de 3 ans qui m’a permis de glisser vers la réalité d’être artiste. Pierre : C’est un beau parcours ! Ludo Pin : Oui mais bizarre quand même. Je me suis fait connaître du jour au lendemain par un morceau alors que je n’avais jamais fait de scène, quand la plupart des groupes commencent à se faire connaître de cette manière. De manière régionale et ensuite en montant vers le national. Moi, c’est d’abord par une chanson et ensuite, j’ai pu toucher des petites scènes, des bars… ce fut vraiment très évolutif. Pierre : Ton histoire me fait penser à un chemin de musicien électronique, mais en écoutant le disque, on n’entend pas qu’une musique électro ? Ludo Pin : Dans tous les morceaux que j’avais pu faire, j’avais 15 chansons à choisir pour l’album. Sur ce choix, j’avais des titres plutôt home-studio, électro, hip-hop et beaucoup de morceaux guitare voix. Egalement beaucoup de maquettes où je simulais des instruments acoustiques. Des maquettes non abouties. Quand je suis parti au studio Labomatic, je voulais rester proche des maquettes et jouer par-dessus pour garder un peu la dynamique de ces maquettes. Pour les autres titres, ce fut de réenregistrer des batteries, des basses, des guitares pour le coté acoustique. Ce n’est pas un album qui sonne électro. Cela reste des chansons à la base. Pierre : As tu fait tes humanités musicales dans la rue et intellectualisé ta musique de par des études d’éthnomusicologie ? Ludo Pin : Y a de ça. Ce n’est pas évident car il y avait toujours les 2 à la fois dans ma vie : A Sarcelle nous avions un studio de répétition où tous les styles musicaux se rencontraient. Dans toutes ces esthétiques différentes, j’y trouvais beaucoup de points communs. J’ai effectivement fait des études d’ethnomusicologie mais cela venait de cette idée que la musique d’Afrique de l’ouest que j’écoutais môme me faisait penser au hip-hop dans leurs formes répétitives. Ces études, je les ai suivies car j’avais ce questionnement sur ces musiques qui avaient des siècles de différences et des kilomètres de différences et pourtant tant de similitudes. Cette ouverture, je l’ai apprise en jouant dans mon quartier. Mes études m’ont aidé à théoriser la musique d’une certaine manière. Pierre : C’est compliqué de mettre un terme exact sur ta musique, peut on dire qu’elle est originale ? Ludo Pin : Je ne me permettrais pas de dire que je fais de la musique que personne n’a jamais entendu, mais j’ose espérer que c’est un album qui a un style propre. Une touche particulière… Pour ceux qui ont entendu mon disque, il en ressort que c’est quelque chose de neuf et qui fait du bien… sans être pédant ou prétentieux. Dans le paysage musical français, je ne suis pas certain qu’il y ait des disques originaux qui sortent tous les jours. J’ai vraiment voulu jouer sur la notion de collage. Superposer des styles, des influences et assumer cet espère de mélange fourre-tout. On avait le choix de faire un album plus linéaire avec des morceaux qui, dans leurs arrangements, auraient été assez proches mais je voulais pas être enfermé dans un cadre. Pierre : Ne serais tu pas un adepte de l’écriture surréaliste ? Ludo Pin : Pas mal (rire). Ou aussi l’écriture automatique. J’ai souvent des bouts de phrases, de couplets qui raisonnent sur des musiques que je suis en train de faire. Ce sont des choses assez intuitives. Je travaille pas mal comme avec le son : j’y vais à tâtons et à l’intuition. Je tente beaucoup de choses et je fais le tri dans le résultat. J’ai beaucoup été influencé par Boris Vian, Prévert qui m’ont toujours énormément touché. Blaise Cendrars aussi. Il y a une certaine férocité dans ce qu’il écrit. Souvent, j’ai envie d’utiliser les mots pour leurs sons. Je me soucie très peu du sens des mots quand je les confronte les uns aux autres. Pierre : Pour moi la plus belle phrase de tous tes textes c’est « Cette musique portait un titre, il est anglais mais faut-il savoir le parler pour l’aimer ? » Ludo Pin : C’est une phrase de mon frère qui est mon parolier sur certains titres. Il écrit souvent des textes très courts, mais bien souvent, il y a dedans des phrases intouchables. La musique est venue toute seule après avoir lu son texte. Il en est presque le compositeur aussi. Quand on la lit, on a déjà le rythme et la mélodie. Pierre : Il y a pas mal dans tes chansons de « à quoi bondisme » par exemple sur « Ma Quête m’a quitté » ? Ludo Pin : J’aime jouer avec la dérision. D’avoir des propos assez désillusionnés, des propos difficiles sur le monde dans lequel on évolue. Mais toujours dans une forme d’humour et de décalage. Pierre : Ne ferais tu pas parti de ces déçus de la démocratie ? Ludo Pin : Un peu. Sans tomber dans le totalitarisme (rire). On l’a assez vécu pour voir que ce n’est pas une forme parfaite de société. Ce n’est pas la pire… c’est peut être la mieux. A défaut d’autre chose quoi… c’est vrai que ça va mal, mais à défaut on va essayer de prendre ce qu’on a et d’en faire quelque chose de beau et de bien. Pierre : Quant aux deux derniers titres : Ludo Pin est un schizophrène qui aime une archiduchesse et la révolution ? Ludo Pin : C’est du à mon existence (rire). Pareil : on peut aimer la révolution et aimer la classe et la grâce d’une archiduchesse. On vit dans une société où les clivages doivent éclater. Essayons d’être plus chaotiques dans nos raisonnements et dans nos actes et on verra bien ce qui en sortira. Pierre : Tu es de ces artistes de chambre qui composent dans leur mansarde, peux tu m’expliquer le choc que tu as connu en te confrontant au public ? Ludo Pin : Longtemps, j’ai cru que je serais juste producteur avec ce projet de « Ludo Pin ». Le choc fut dur car je me suis rendu compte qu’on m’attendait sur scène. Un artiste qui est auteur-compositeur-interprète, il est obligé de passer par là… il m’a fallu quelques mois d’adaptation pour jouer avec le public. Pierre : Pourrais tu m’expliquer quel est l’apport du studio par rapport à tes maquettes ? Ludo Pin : On voulait avec Bénédicte Schmitt ne pas s’éloigner des maquettes. Avec un soucis de retenu. Au Labomatic, il y avait beaucoup d’instruments et je ne voulais pas sombrer dans le touche à tout pour me faire plaisir. Je me suis freiné pour travailler sur la texture sonore, plus que sur l’accumulation d’instruments. Pierre : Bénédicte Schmitt est toujours présente sur de beaux albums, est ce que ce fut une joie de l’avoir pour toi quelque temps ? Ludo Pin : Elle travaille de plus en plus sur des disques qui sont des réussites. Bénédicte, je l’ai rencontré il y a 2 ans sans la connaitre. Je lui ai refilé mes maquettes et ce fut elle qui est revenue vers moi pour me dire qu’elle adorait et qu’elle aimerait travailler avec moi. Pierre : C’est drôle de voir aussi dans quelle maison de disque tu as signé ? Ludo Pin : C’est cocasse. Audiogram, c’est un label qui a monté une antenne en France. J’en avais entendu parler récemment par l’album de Pierre Lapointe. L’ironie du sort, c’est qu’en sortant de l’un de mes concerts, il y a un responsable du label qui est venu me voir pour me demander d’être la première signature française. Les autres labels français n’étaient pas concentrés à 200 % sur le projet. Je me suis senti bien avec eux, car ils ont un petit bureau, un gros background là bas au Québec et je voulais pour ce disque là, avoir une place de choix. Dans une grosse maison de disque, avec un catalogue énorme, j’allais me perdre dans la masse et ils n’auraient pas pu travailler le disque comme il le fallait. J’avais la perspective aussi de pouvoir jouer au Québec, mais aussi dans les autres pays francophones. Audiogram voulait un bureau basé en France mais avec un rayonnement international au maximum. Pierre : Je sais que tu as 2 formules sur scène ? Ludo Pin : Une formule à 2 ou je déclenche pas mal de samples. Je joue avec un contrebassiste qui fait des chœurs et joue des claviers analogiques. C’est dans l’esprit du disque. De la boucle. On a une autre formule qui est plus rock. Car j’avais besoin de volume sonore sur scène. L’expérience du live, c’est quelque chose que je dois ressentir de manière assez forte au niveau sonore et au niveau de la dynamique : donc on joue avec un batteur en plus qui joue d’autres instruments aussi…
Ludo Pin sera en concert à Lille (59) - Le Biplan le Vendredi 28 Novembre 2008 à 22h00