Fabien Martin a vraiment de beaux jours devant lui. Avec son nouvel album « Comme un Seul Homme », il nous prouve qu’il est possible de trouver des coins inexploré de la chanson française. Vagues après vagues ses rouleaux d’écumes sont tour à tour tristes, joyeux, festifs, lumineux et fragiles. Disque magistral à conseiller un peu partout.
Pierre : Avec votre disque on s’aperçoit qu’on peut chanter des choses fortes en français sans oublier de les rendre jolie à l’oreille ? Fabien Martin : Y’a pas de raisons. Lennon disait qu’il faisait passer ses messages avec du miel autour. Mais je ne cherche pas vraiment non plus à faire joli. Je veux juste que ça parle. Pierre : La guitare est un nouvel instrument qui s’invite fortement sur ce nouvel album ? Fabien Martin : C'était obligé, mes amis m’ont offert une guitare pour mes trente ans, alors j’ai composé la majorité de l’album avec. Et aussi avec ma bouche. Pierre : Cela s’est ressentis comment dans votre écriture ? Fabien Martin : Par des choses plus directes, plus simples. Plus bruts.Il y a quand même quelques titres, comme « Indélébiles » par exemple, que j’ai fait au piano. C’est un peu plus fouillé dans les harmonies. Mais vous savez, les airs me viennent et m’arrivent surtout dans la tête, c’est très physique en fait. Alors piano ou guitare, ce n’est pas l’important finalement. Pierre : Ce disque est moins introspectif que le précédent ? Fabien Martin : Il l’est davantage. Mais moins nombriliste. Disons que c’est une introspection générale. J’ai envie de fouiller le monde, mais avec moi aussi dedans bien sûr. Pierre : Vous vous permettez même de faire un portrait de l’homme idéal dans « Je ne suis pas celui que tu crois » ? Fabien Martin : Si on fait attention c’est un mélange entre l’homme idéal, l’homme rêvé, le prince charmant, d’un côté, et l’homme qu’on ne voudrait surtout pas avoir à la maison. Tu mélanges et ça donne juste un homme normal… Pierre : Il y a « 1936 » sur votre album comment vous ai venu l’idée de cette superbe chanson qui me fait penser à Baudelaire ? Fabien Martin : Merci pour le compliment. C’est un sujet ou plutôt une histoire que je trainais depuis quelques années, avec juste cette phrase « nous avons perdu toutes les batailles, mais c’est nous qui avions les plus belles chansons », que j’avais entendu à la radio dans « là-bas si j’y suis » sur Inter. C’est d’un Républicain Espagnol. J’ai fait l’histoire autour de ça. Et avec la mémoire de mon arrière-grand-père qui s’était engagé là-bas, ayant femme et enfant. Mais pour moi maintenant, c’est surtout une histoire de fraternité et de partage d’émotions extrêmes, comme la peur de mourir. J’ai chanté cette chanson en studio les yeux bandés et les mains attachées dans le dos, comme devant un peleton d’éxecution. Ça met tout de suite de l’ambiance. Pierre : L’amour impossible c’est le plus beau à décliner ? Fabien Martin : C’est le plus déchirant, et j’aime bien ce qui est déchirant. Pierre : Ca aide la mémoire de chanter ses poèmes alors ? Fabien Martin : Et ouais ! C’est ce qu’on devrait faire à l’école. Apprendre les poèmes en chantant. Je ne me souviens d’aucun appris comme ça, par contre ceux mis en musique, je les ai en tête. Léo Ferré a fait ça aussi, beaucoup. Pierre : Vous adaptez deux textes de Paul-Jean Toulet après vous êtes attaqué à Apollinaire, vous êtes un grand lecteur ? Fabien Martin : Je lis, un peu, pas assez. J’aime découvrir des mondes. Si je découvre un auteur que j’aime, je vais lire tous ses livres, enfin je vais essayer. On fait pareil avec les disques, non ? Pierre : Vous modulez votre voix de manière étonnante, vous le faites comme un jeu pour la figure de style ou est ce vraiment adapté à la situation ? Fabien Martin : Non je joue pas. Si vous parlez des chansons tirées de Toulet justement, je me lance dans le vide, et je me balance entre le haut et le bas ; je n’oserai pas faire du saut à l’élastique par exemple, donc faut bien trouver quelque chose pour se faire vibrer un peu. Mais ce n’est ni un jeu ni un exercice. C’est ma voix à ce moment-là, et je le fais le plus naturellement possible. Pierre : Il y a aussi ce duo avec Ruby Brune qui me fait penser à PJ Harvey s’acoquinant avec Calixico ? Fabien Martin : Eh oui Brune c’est un peu ma PJ personnelle… Avec Ruby Brune on s’est rencontré il y a quelques temps maintenant, j’aimais bien comment c’était chez eux, j’avais envie que les gens voient ça… Il y avait de la place pour les autres dans ce disque, j’avais envie de ça, beaucoup d’humains, beaucoup d’expression. Pierre : Etes vous très sévère avec vous même quand il s’agit de faire un album ? Fabien Martin : Jamais assez. C’est pour ça que j’ai demandé à Philippe Desbois, le guitariste depuis le début, de réaliser l’album avec moi. Comme ça on était deux à être sévères. Pierre : Il y a aussi quelques boucles de dialogues cinématographique dans le disque, on y parle de cinéma aussi : c’est un projet sur l’avenir un film ou un moyen de rendre la politesse à une forme artistique qui vous passionne ? Fabien Martin : C’est drôle ça fait deux trois fois qu’on me demande si je veux faire un film, tout ça parce que j’ai mis des extraits de Casque d’Or dans une chanson et cité Capra dans une autre ! Y’a encore de la marge. Mais bon, c’est vrai que j’ai déjà réalisé moi-même mon premier clip l’année dernière sur « Riz Complet » (on peut le voir sur DailyMotion) Pierre : Etes vous inquiet de cette standardisation comme vous le chantez dans « Toute une Vie » ? Fabien Martin : Je ne peux pas être inquiet puisque c’est inévitable. L’information circule à une vitesse grand V. Un jour vous mettez un coup de boule à quelqu’un, dans l’heure qui suit toute la planète est au courant, et le lendemain un disque sort sur le sujet. Avec ça, tout le monde a presque le même langage, les mêmes tics, c’est difficile de rester « un autre ». Moi je me sens surtout un peu désarmé et je pense que je ne suis pas le seul. Je crois qu’on est à la fois Karl Marx & Spencer. C’est ce désarroi que j’ai voulu évoquer dans « Toute une Vie ». Pierre : Peut on dire que Fabien Martin via certains textes est un gentil rebelle ou un vieux réac en avance sur son temps ? Fabien Martin : Mais personne n’est rebelle aujourd’hui, et surtout pas les chanteurs publics. Comment voulez-vous être un rebelle soutenu par une multinationale ? Je suis juste un garçon de mon temps, de mon époque, des fois je suis content, des fois j’ai un peu peur ou disons que je me pose des questions. Mais je ne supporte pas qu’on me dise « avant c’était mieux, demain ce sera pire ». Le type qui parle dans « Paris Gangster » par exemple, ce n’est pas forcément moi. En fait j’adore les individus, mais parfois j’ai l’impression que la société ne correspond pas à la somme totale des individus. Pierre : Vous prenez l’auditeur à rebrousse poils, il n’y a aucune complaisance dans votre album ? Fabien Martin : Je pense qu’il faut envoyer un peu, dire des choses. Je vois bien que c’est plus simple de diffuser et d’écouter des choses parfois pas très signifiantes, ni bonnes, ni mauvaises, mais qui « passent bien ». J’ai besoin d’expressivité, et de dignité aussi, car il ne s’agit pas de se répandre non plus. Pierre : Est ce que c’est aussi une prise de conscience personnelle que quitte à tenter la grande aventure autant qu’elle soit totalement à votre image ? Fabien Martin : Je ne vois pas cette affaire-là autrement. Mais la grande aventure elle est pour tout le monde. Moi je suis hanté par ce que les gens font de leur vie, ce qu’ils ont dans les mains au départ, et ce que ça devient… Les rencontres, les hasards, les désirs, les sens interdits, comment on fait pour s’en sortir, c’est ça la grande aventure, c’est tout et c’est rien. Pierre : Cela ne le rend il pas plus difficile à vendre aux maisons de disque et aux médias ? Fabien Martin : Non Pierre : Vous terminez votre disque par « Bamileke » c’est un espoir de jours meilleurs pour conclure votre album ? Fabien Martin : L’album commence avec les chœurs et finit avec les chœurs. C’est juste de la musique.