La musique cosmos-polite de Air hante la galaxie bien plus loin que ce que peut sonder une sonde spatiale. « Pocket Symphony » leur dernier opus est un disque pourtant plus terrien, voir géographiquement tourné vers l’Asie et plus spécialement vers le Japon (où ils sont adulés). Leurs productions inclassables, leur status de stars et de musiciens aguerris leur a permis de passer entre les gouttes de la purge éléctro-dance. Car Air n’a jamais fait ni de la musique électronique, ni de la musique organique. C’est un mélange des deux.
Pierre : Nous nous étions rencontrés dans une petite salle lilloise et j’aurais aimé savoir si vous alterniez encore ces performances clubs et les grandes salles ? Air : On s’en souvient ! c’était un super concert avec une salle surexcitée. Il faisait très chaud et nous avions bien joué et cela s’était super bien passé. Nous continuons à mixer nos envies, on fait de tout nous (rire). Passer d’un trou pourri paumé jusqu’aux grosses scènes de grands festivals. Pierre : Quand on fête les 10 ans d’Air, pour vous c’est normal ou une hallucination d’avoir réussi à tenir sur la durée ? Air : Ecoute, c’est normal pour nous car nous faisons de la musique comme une passion, un moyen de communication et même si c’est parti très fort dès le début, nous voulions faire des musiques de films, de la musique en général et finalement, tout s’est enchaîné très vite, avec un rythme de travail démoniaque. C’est très important de ne jamais s’arrêter, ne pas trop réfléchir mais se poser les bonnes questions aux bons moments. Pierre : Vous imaginiez que votre musique puisse susciter autant d’intérêt à des gens si différents ? Air : Il y a un intérêt mondial qui touche Air mais nous ne sommes pas les seuls… et de loin ! Il y a un noyau de public qui est toujours là pour notre musique. Air répond peut être à un certain manque. Certains ont besoin de musique émotionnelle, qui fait voyager, qui soit différente des autres, accessible sans toutefois oublier la recherche d’une certaine élégance, d’ultra harmonieux sans pour autant être agressif. Pierre : Alors le choix de « Pocket Symphony » comme titre, c’est un hommage à l’air du temps et aux baladeurs MP3 que l’on transporte dans la poche ? Air : C’était un message. Une expression qui est rentrée dans l’inconscient collectif. C’est pour ça que cette association de mots fait tilt dans la tête. L’important c’est ce fameux « tilt ». Le titre est extrêmement important. On le cherche en dernier mais finalement en écoutant nos maquettes, la réponse est déjà incluse dans la question. Le titre synthétise la nouvelle imagerie ou le nouveau concept de l’album. Pierre : Depuis vos collaborations avec Sofia Coppola, il me semble que vos derniers albums sont plus à prendre comme des pièces de théâtre, basés sur une thématique ? Air : On recherche une espèce de souffle commun dans nos chansons. Ceci dit, humainement lorsque nous voyageons, nous percutons sur des choses, sur des musiques, des groupes ou des visions et ensuite nous l’utilisons dans notre musique de manière naturelle. Pour notre dernière vision, il fallait faire une musique moderne mais qui aurait une couleur asiatique classique. On voulait faire quelque chose de planant, de zen, quelque chose de calmant. Pierre : Qu’est ce qui vous a attiré pour faire un disque thématisé sur l’Asie ? Air : Au Japon nous avons eu un choc. C’est une sorte de délicatesse, d’harmonie dans les rapports humains, tout du moins en surface. La scène musicale au Japon, c’est une espèce de projection extra-terrestre. 80 % de la pop japonaise est nationale. La surface vivable est tellement petite dans ce pays, les rapports au travail sont tellement sournoisement violents qu’à la maison, les japonais ont un soucis de place et d’espace avec ce soucis du bien être. Pierre : Nicolas a appris à jouer au koto et au shamisen chez un maître à Okinawa ? Air : On a toujours eu besoin de ce rapport à l’acoustique. Bien sur le traitement principal est électronique mais l’organique est nécessaire pour faire vivre le tout. Finalement il n’y a aucune méthode dans la musique. Juste d’être le plus émotionnel possible. De toute manière, cela fait longtemps que nous jouons sur des synthés japonais (rire) Pierre : C’était un risque de tomber dans le cliché : carte postale pays du soleil levant ? Air : C’est une bonne question…je pense qu’il ne faut pas copier l’écriture musicale japonaise car là, cela aurait été une catastrophe. Nous n’avons pas utilisé de gammes pana toniques. On s’est contenté des instruments et d’un habillage sonore. Pierre : Les percutions ont pris une place prépondérante sur ce disque ? Air : Disons que le chaloupement rythmique est super important, sinon la musique est trop droite, on sent un manque de relief au disque. Les percutions servent à donner du rythme, de l’intensité Pierre : « Pocket Symphony » est votre album le plus apaisé, Air est il le vieux sage qui regarde la lune plutôt que le bout de son doigt ? Air : On regarde même au-delà de la lune. Au-delà de la voie-lactée. On y voit l’extension du cosmos, des trous espace-temps et surtout l’absurdité et la légèreté de la vie. Pierre : Les titres instrumentaux sont de vraies coupures dans l’album ? Air : Il faut changer d’espace, de plans pour ne pas lasser. Notamment grâce aux instrumentaux mais aussi avec les titres chantés par d’autres voix. C’est important d’avoir plusieurs cordes à son arc. Ces chansons sont arrivées comme ça, avec les gens que l’on côtoyait au moment de la réalisation. Pour au final, mettre les choses les plus diversifiées et les plus planantes possible. Pierre : Neil Hannon et Jarvis Cooker sont donc vos 2 interprètes « invités », ils sont arrivés sur votre projet au moment du disque de Charlotte Gainsbourg ? Air : Exactement. Nous trouvions que cela aurait été dommage de ne pas collaborer à nouveau. Ils ont un style dingue ! Pierre : Contrairement à leurs habitudes, on dirait que vous leur avez demandé de ne pas sur jouer avec leur voix mais bien au contraire d’apaiser leurs chants ? Air : Neil a l’habitude de faire des trémolos et nous ne voulions pas qu’il utilise ce tic, il aime ce côté crooner, c’est un grand fan de Scott Walker. On a essayé de les romantiser (rire). Pierre : Pour réaliser le disque vous avez choisi (encore) de collaborer avec Nigel Godrich, qu’est ce qu’il vous apporte ? Air : Il est important de dire que l’on ne s’est jamais battu (rire). En studio, il y a ce sentiment à un moment de faire une chanson importante et donc d’y mettre de la passion. C’est un régal, voir un teap d’enregistrer. Jouer, conceptualiser, mixer c’est quelque chose de très jouissif. Savoir que nous sommes les premiers à écouter ça pour ensuite envoyer ces musiques dans le monde, sans que l’on ne puisse plus rien y faire. C’est génial, on se sent comme des espèces de pères. On donne naissance à la vie. Les chansons sont comme des enfants, certaines sont plus vivaces que d’autres. Pierre : Et comme dans toute relation filiale, il faut accepter de lâcher la main à ses bébés et couper le cordon ombilical ? Air : Il faut accepter ce que les gens perçoivent dans la chanson, nous ne sommes jamais vraiment aimés pour ce que l’on voudrait. A travers les fans, les journalistes, on se rend compte que les gens ont une image de nous qui est atroce, car nous ne sommes pas faits comme ça. Il y a une espèce d’appréhension des personnes. Malgré nous, on donne ce que l’on ne voudrait pas donner. Pierre : Air en concert ne devrait il pas se retrouver derrière un écran blanc et ne pas apparaître aux yeux des spectateurs ? Air : Pourquoi pas… en ombre chinoise. La scène est importante pour nous, avec le volume et ce retour direct, on sait quelle chanson est accrocheuse. Lesquelles sont plus accrocheuses et lesquelles sont plus distrayantes au sens « entertainement ». Pour résumer, sur scène on fait ce que l’on peut et en studio, on fait ce que l’on veut ! Pierre : Visuellement vous désiriez quoi sur ce disque ? Air : Nous voulions une lumière qui reflète le corps à travers un champs magnétique. On pensait à l’enveloppe magnétique sur laquelle la médecine asiatique travaille. Cette enveloppe magnétique n’est pas forcément acceptée en occident mais à travers les statues de Xavier Veilhan, nous voulions évoquer ce côté : Etre fait de vide avec une enveloppe. Pierre : J’ai été impressionné par le fait que Virgin mette vraiment beaucoup d’espoir sur votre album commercialement parlant, avez vous ressenti cette pression sur votre travail ? Air : Nous avons de la chance d’avoir une équipe qui met le paquet sur quelque chose qui n’est pas foncièrement commercial à la base… notre musique ne passe pas forcément comme une évidence en radio. En fait la musique de Air a un pouvoir : celui d’être diffusé à l’international. Pierre : Vous allez débuter une tournée avec Charlotte Gainsbourg aux USA ? Air : Nous y sommes allés mais peut être y retournerons nous très bientôt. C’est une expérience de vie intéressante de pouvoir bouger de par le monde…. C’est à dire qu’on est au delà de Paris ou du microcosme franco-français. Même si tout cela est très furtif car nous passons la plupart du temps dans la salle de concert. Notre vie peut être très banale, nous sommes des artistes installés comme le disent les journalistes de Technikart (rire). Pierre : Est ce vrai cette rumeur d’un album de Air pour Mylène Farmer ? Air : C’est complètement faux ! C’est le jeu d’une question-réponse qui prend ses aises. On nous a demandé un jour avec qui, à part Charlotte, serions nous intéressés de collaborer et comme nous ne trouvions pas, à force de chercher on a simplement répondu que Mylène Farmer avait une image assez étrange. Du coup, cela s’est transformé en « je veux » (rire). Pierre : En même temps vous avez la bonne idée de ne pas proposer Mireille Matthieu ? Air : (rire) Ca c’est un désir que nous avons crié sur tous les toits. Un disque de hard techno avec elle pour décliner ça en sonnerie de téléphone.