Jusqu’à présent Raul Paz avait dans ses précédents albums démocratisé une musique cubaine moderne, dépoussiéré les clichés. Avec « En Casa » c’est un retour au source, un moyen pour lui de faire le pont entre le nouveau et l’ancien, renforcer son vécu et lui permettre d’une certaine manière de tourner la page.
Pierre : Alors qu’est il arrivé d’important à Raul Paz entre son précédent et son nouvel album ? Raul Paz : Le retour à Cuba ! En fait depuis 10 ans que j’avais quitté mon pays d’origine, je n’y avais jamais passé plus d’une semaine, j’y prenais juste des vacances. Et là j’ai décidé d’aller, avec ma famille d’ailleurs, y passer 4 mois entiers. Je tenais à revenir au pays pour essayer de comprendre les choses que j’avais laissé inachevées. Retrouver mon passé et tracer mon futur. Ca a été très important pour moi. Ce disque est d’ailleurs le moyen de marquer ce retour. D’accepter mon histoire. Pierre : C’était un retour aux sources, une nostalgie ou une fuite ? Raul Paz : J’ai essayé de retrouver les fantômes que j’avais laissé pour m’apaiser plus que de retrouver ce que je connaissais déjà comme une odeur maternelle. C’était en fait un retour sur moi-même, sur mon enfance, un retour à cette ambiance qui existe toujours sur cette île, une atmosphère fixée qu’on a tendance à oublier. Quelque chose d’envoûtant, de statique et comblé de multitudes de références mais avec un regard différent. Celui d’un adulte qui a eu la chance d’évoluer. Pierre : Vous avez déclaré que « En Casa » n’a rien à voir avec ce que vous avez fait avant et n’aura rien à voir avec ce que vous allez faire après, cela signifie quoi ? Raul Paz : Très certainement en effet. C’est un album plus intimiste, particulier. Le résultat d’une rencontre avec la jeunesse musicienne de mon pays. Ce sont eux qui m’ont donné l’envie de faire ce disque. Pierre : On vous sent très excité par ce projet ? Raul Paz : J’avais dit à la maison de disque qu’après la première partie à l’Olympia totalement acoustique qui avait rencontré un très grand succès, que je tenais à cette idée. Finalement, au bout des 4 mois, quand j’ai ramené sur Paris le disque enregistré ils ont été tout autant emballés que moi. Ce n’est pas un disque planifié, il n’était pas prévu sur mon contrat. Ce fut un vrai coup de cœur. Pierre : En écoutant l’album on découvre un Raoul Paz sur cet album plus romantique voir plus triste que festif, qui était en quelque sorte votre marque de fabrique ? Raul Paz : C’est clair que oui ! (rire) Il y a beaucoup de nostalgie, une nostalgie positive. C’est toujours compliqué de retourner à la maison pour les enfants. Il n’y a rien de mieux mais c’est angoissant d’être devant soi-même. Il y a sûrement beaucoup plus d’influences de mélodies de la campagne sur ce disque, avec des tonalités mineures. Pierre : Est ce le fait de vieillir qui vous donne ce brin de nostalgie ? Raul Paz : Sûrement, avoir des enfants aussi. Je n’ai pas envie de revenir aux sources, ou de faire de la musique traditionnelle. Mais vous savez j’ai toujours horreur de marcher pieds nus dans la terre (rire). En tout cas, quand j’ai quitté Cuba j’ai découvert Paris mais c’est de Paris que j’ai retrouvé Cuba. C’est toujours cette envie de savoir le pourquoi du comment. Le passé est là pour illustrer la vie mais c’est pour le futur que je m’accroche au présent. Pierre : Il y a ce rapport à la terre, au paysage, à la réalité des choses ? Raul Paz : C’est aussi une négation de la distance. Ce qui me fut le plus difficile à surmonter quand je suis venu sur Paris c’est cette fameuse distance entre ce que je vivais et ce que je voulais partager avec les miens. ‘En Casa’ est une façon de nier la distance. Pierre : Ne seriez vous pas un rat des champs qui aurait décidé d’aimer la ville ? Raul Paz : Je suis plutôt un rat des villes qui est né à la campagne (rire). De mon petit village j’étais toujours sûr de partir pour une grande ville. Depuis ma prime enfance je tenais le discours comme quoi j’allais partir pour voyager. Je me sens très bien dans une ville. Pierre : Ce disque c’était aussi un moyen de faire plaisir à votre papa ? Raul Paz : Oui, il n’est plus là mais c’était la seule musique qu’il supportait. La musique campesina il l’aimait beaucoup. J’avais promis que si je faisais un jour l’Olympia je ferais un hommage à mon père d’où cette première partie feutrée. Après je ne suis pas sur que cet album lui aurait plu (rire) car il n’est pas tout à fait ‘campessino’. Pierre : Sur ce disque, il y a un grand moment c’est le moment où vous avez enfin décidé de vous attaquer au français ? Raul Paz : «(rire) Houlala. On me le demandait depuis tellement longtemps. Je voulais le faire uniquement quand cela viendrait naturellement. J’ai passé 2 mois avant de le faire écouter à quelqu’un. J’ai beaucoup de respect dans la façon d’écrire et de traduire des sentiments en français. Mais bon finalement je me suis convaincu de le mettre. C’est un petit clin d’œil, un besoin d’exprimer l’autre partie de moi. J’ai beaucoup appris de votre pays. C’est ma manière de renvoyer cette image d’un mec qui maintenant appartient à deux mondes parallèles. Pierre : En France, de par la barrière des langues, comment avez vous réussi à faire passer votre message ? Raul Paz : J’ai appris à mettre la musique au même niveau que mes textes. Ne pas privilégier ni l’un, ni l’autre. Sur Cuba ils sont très attachés à mes paroles mais pas de la même façon, c’est beaucoup plus imagé. C’est dans la fantaisie, dans l’imaginaire qu’ils trouvent leur compte. Ici vous avez une relation beaucoup plus directe, réaliste avec les textes, les rimes, les jeux de mots. Pierre : Il y a moins ce croisement de culture avec « En Casa », est ce un risque ? Raul Paz : Evidement ! Surtout après les albums que j’avais fait. J’étais presque militant pour donner une image plus large de Cuba histoire de sortir de cette image de carte postale. Mais je crois que je ne vous envoie pas de clichés pour autant avec ‘En Casa’. Il y a moins de brassage de cultures mais il y a beaucoup de mélanges de cultures cubaines. Beaucoup de voyages dans le temps. Du début du siècle à maintenant. Cela m’amuse toujours de mélanger mais c’était un disque qui ne pouvait être écrit que là bas et sonner de cette manière que là bas. C’est un album que j’ai enregistré en live, en direct dans la pièce. C’est un risque pour les gens qui sont habitués à m’écouter. Pierre : Tout le monde parle de vos concerts enflammés, comment allez vous intégrer ce nouvel album plus calme et pondéré dans votre tour de chant ? Raul Paz : C’est le deuxième risque (rire). J’aimerais faire quelque chose de différent. Ou les gens seront assis, ou je ferais moins le con à sauter à droite à gauche ! (rire). D’un autre coté je vais pouvoir chanter mieux, valoriser ce que je raconte. Me faire plaisir. Pour la première fois sur ce disque je me suis vraiment fait plaisir à chanter. J’aimerais bien avoir le même plaisir sur scène. Après je repartirais dans mes délires (rire). L’avantage de ce métier c’est qu’il est possible d’exister dans plusieurs peaux. Le risque de faire toujours pareil c’est hermétique. Pierre : Et vous savez que le risque paye toujours ? Raul Paz : Oui… en principe ! (rire). Pierre : Comptez vous faire venir les jeunes artistes qui vous ont aidé sur l’album dans votre spectacle ? Raul Paz : Ecoutez, normalement oui ! on est en négociation politique, économique et social avec Cuba. Je crois beaucoup à cette génération pour ouvrir des voies, des brèches de liberté et permettre de découvrir cette musique très riche.