Dans cette période négative où la banlieue sent le brûlé tandis que les paroles malheureuses fusent, Anis, un petit gars de Cergy sème des pâquerettes au bas des tours qu’on appelle les ghettos. Avec son premier album « La Chance » il démontre qu’il y a un royaume où le bonheur et l’envie de réussir peuvent supplanter la déche et le désespoir. Tout au long des 15 titres : mi blues, mi raisin, ce grand admirateur de Tété donne de la joie et permet d’y croire à sa façon.
Pierre : Anis c’est ton vrai prénom ou tu l’as pris pour sa signification (« espoir ») ? Anis : C’est mon vrai prénom. Je dois d’ailleurs en remercier mes parents. Pierre : Quand t’es venue cette idée folle de croire en ta musique ? Anis : En ma musique pas très tôt mais en ma bonne étoile très vite ! Quand j’étais gamin ou ado, dans mes coups de Calgon je me disais toujours intérieurement que même si j’en chiais là plus tard je prendrais ma revanche. Pierre : Tu as quitté l’école à 17 ans car tu n’y trouvais pas ton bonheur ? Anis : Exactement. C’était du gâchis. J’étais le stéréotype du mec qui va au lycée pour fumer et qui foutait rien. Une vraie perte de temps. Pierre : Ensuite tu t’essayes à plusieurs instruments en autodidacte ? Anis : En fait je me suis dit que ce serait bien de faire pianiste professionnel ! Je devais avoir 17 ans et les mecs qui veulent devenir pianiste pro commencent à 5 ans ! j’avais déjà plein de retard mais j’ai bossé comme un ouf pendant 8 mois pour voir au final un résultat satisfaisant. Bon, j’étais complètement à la rue face à la concurrence, ce qui m’a permis de me remettre les pieds sur terre... comme j’adorais chanter, que c’était toute ma vie, je me suis dis pourquoi pas essayer dans cette voie. Pierre : Avant cette crise de piano tu avais déjà touché un instrument ? Anis : Avant de faire ce truc intensif de piano j’avais fait du saxo, je gratouillais de la guitare en autodidacte. Pierre : Est-ce que ce fut dur à faire accepter le fait de mélanger dans ses inspirations les MC de Cergy et Colette Magny ? Anis : C’est pas si éloigné dans le temps. Si Colette Magny était vivante elle apprécierait certains MC. J’en suis certain. C’était une moeuf anarco’ ça aurait collé avec les mecs de maintenant. Pierre : « Cergy » est une belle chanson en hommage à tes racines ? Anis : C’est une chanson sur ma pré-adolescence. J’y ai vécu 23 ans, c’est une page importante de ma vie. Pierre : Le blues qui t’es cher est une musique de réprimé, le MC est une sorte de tueur de mots, alors que toi tu souffles la paix et la douceur sous forme de groove happy, c’était trop dur de jouer un rôle de méchant qui ne te correspondait pas ? Anis : J’aurais pas été crédible. Tu t’imagines si j’avais revendiqué que je venais de banlieue et que j’en avais chier... La sauce aurait pu prendre à une grande échelle, une imposture comme ça j’aurais pu la monter mais les 1500 personnes qui me connaissent à Cergy savent très bien d’où je viens. J’aurais jamais pu remettre les pieds chez moi si j’avais chanté ‘je viens de tel quartier et ma vie est naze’. Pierre : D’ailleurs tu revendiques plutôt être un enfant qui vient certes de la banlieue mais de la banlieue privilégiée ? Anis : Je suis quelqu’un de la middle-classe. Ma mère avait un appartement dans le quartier de la préfecture, putain c’était un autre confort que mes potes vivant dans les cités qui n’avaient pas été rénovées depuis 25 ans, qui étaient cramoisies puant la pisse. Ca je peux le chanter mais je n’ai pas le droit de dire que je l’ai vécu personnellement. Pierre : Nougaro aurait voulu être Louis Armstrong, aurais tu aimé quand à toi naître à la Nouvelle Orléans et être Chuck E Weiss ou Tom Waits ? Anis : J’aimerais bien leur ressembler. Mais avoir des influences est ce vraiment vouloir leur ressembler. Disons qu’ils peuvent me nourrir. On commence tous à mon avis à faire « comme ». C’est bien de copier dans un premier temps pour s’en éloigner sinon ça peut devenir très vite chiant. Mais j’aurais voulu être comme Billie Holiday même si c’est une femme par exemple ! Pierre : Tu reprends Jimmy Cox sur ton album ? Anis : Lui c’est plus la chanson. « Nobody Knows You » je pensais que c’était une chanson dont on ne connaissait pas l’auteur. C’est vraiment la chanson blues la plus terrible avec cette idée de chanter j’étais riche et maintenant je suis pauvre, tout s’abat sur ma tête. Apparemment Nino Ferrer en a fait une adaptation qui s’appelle « Le Millionnaire Pierre : Tu chantes le « Métro » comme tu l’as connu en qualité de busker (saltimbanque en anglais), c’était une bonne école de la vie ? Anis : De la vie, de la chanson, de la musique. C’est un truc que je ne regrette pas d’avoir fait. Pierre : C’est en jouant seul face aux gens dans une rame de métro que tu comprends qu’Anis sera un artiste et pas un membre de groupe ? Anis : Anis c’est mon projet mais là depuis la tournée, avec les musiciens on commence à jouer comme dans un groupe. On fait gaffe à être homogène. Mais j’ai toujours voulu faire un peu la vedette donc autant aller au fond du truc (rire). Pierre : Les métiers alimentaires t’ont ils permis d’être plus fort face aux requins des maisons de disques ? Anis : Ha ouais terrible. Tous les clichés, même les pires tu peux les multiplier par dix qu’ils restent encore vrais. Y a aussi de super personnes à rencontrer. Pierre : Par contre Mitch Olivier (Rita Mitsouko, Bashung) à la réalisation de ton disque c’est aussi la maison de disque qui te l’a dégoté ? Anis : C’est le confort que la maison de disque m’apporte. J’avais pas de réalisateur à proposer. Ce fut une bonne rencontre. C’était pas évident au départ qu’un mec que tu connais pas du tout puisse fonctionner avec toi. Il a un gros caractère, moi aussi, on est donc passé par toutes les phases : on s’est claché, on s’est kiffé pour avoir un bon résultat au final et c’est ça qui compte. Pierre : C’est de lui que vient cet « Onde Amère » joué à l’onde Martenot en prélude à « Pensées Amères » ? Anis : Ca part d’une couille technique ! Le mec qui faisait le mastering m’a dit qu’il fallait qu’on découpe ce morceau en deux parties. Pierre : Tes chansons ont la tchatche, tu aimes mettre du fond à tes propos ? Anis : Une fois que j’ai fait ma petite musique, j’écris un peu comme un rapper. C’est une qualité comme ça pourrait devenir un défaut. Parfois je trouve qu’il y en a un peu trop. Pierre : Peut-on encore être « oisif » comme tu le chantes quand on devient célèbre ? Anis : C’est de la gruge. Un petit clin d’œil aux paresseux. A part quand les choses me motivent vraiment et que je souhaite m’investir c’est dans mon tempérament. Je suis quelqu’un d’assez raleur, faignant. Pierre : Dans ton livret tu parles de Lille ? Anis : Ha le fameux « On va à Lille ! », ça c’est un petit truc entre Myriam ma manageur et moi. C’était au tout début quand j’étais dans le métro. Elle me trouvait des concerts mais ils n’étaient pas payés, j’étais franchement pas emballé pour les faire car dans le métro je pouvais facile me faire de l’argent et rencontrer des gens cools. Elle me disait que c’était pas comme ça que j’allais réussir. Du coup on avait un truc à faire à Lille et le « On Va A Lille ! » est resté comme une boutade entre nous.