Delerm cache bien son jeu. On l’attendait au coin du bois avec ses chansons dites « minimalistes », seul au piano, dans un live nombriliste et voilà qu’il nous livre sa réinterprétation, en compagnie de quelques amis artistes de grands talents, des chansons du patrimoine qui l’ont formé à ce dur métier. Partageant avec nous des rendez-vous singuliers et sincères.
Pierre : Alors pour « Favourite Songs » ce sont les chansons qui ont imposé les duos ou ce sont les duos qui ont imposé les chansons ? Vincent Delerm : Pas mal la première question ! En fait il y a un peu de tout. Le postulat de départ c’était 15 concerts à la Cigale donc 15 duos. Après il y a eu des chansons particulières. Par exemple « Quoi » avec Cali c’était une réel volonté d’intégrer cet artiste à cette chanson car j’avais toujours eu le pressentiment qu’il la chanterait bien. Parfois ce ne sont que des intuitions de départs, des rêves d’artistes qui n’aboutissent pas… Sur ce disque c’était aussi un fantasme de chanter des titres que j’ai toujours aimé avec des gens de qualités. En dehors des deux duos que j’avais écris il n’y a pas de chansons à moi. Je me suis fait plaisir par exemple avec « Les Cerfs-volants » de Biolay qui est une chanson qui m’avait marqué. Idem pour celles de Chamfort, Souchon ou Moustaki. Ca n’avait pas de sens de leurs demander de chanter sur mes propres compositions. Pierre : Pourquoi avoir tenu à en faire un disque, vous ne vouliez pas que cela reste dans l’idée de la magie de l’instant ? Vincent Delerm : Ca je l’ai tellement fait sur mes 3 tournées que je peux comprendre qu’à un moment les gens désirent retrouver inscrit quelque part ces moments particuliers. Chez eux, au chaud, partager à nouveau un instant fort avec un artiste qu’ils estiment. Pierre : Pouvez vous me dire quel est le titre qui fut le plus dure à chanter sur ces 16 titres ? Vincent Delerm : Il y en a même une que je n’ai pas interprété du tout c’est celle avec Katerine, car cela n’avait pas de sens de se mettre dans le même moule que la personne qu’on invite. Avec lui ça aurait pu vite tourner à la faute de goût du style ‘regardez je peux être aussi fou et original que lui’. Après ce sont surtout des questions de tonalités. J’ai une voix assez basse à la base donc chanter avec Franck Monnet par exemple c’était une galère. A un moment donné on se marre car c’est vraiment limite. Pierre : On ressent toutefois avec tous ces invités une franche complicité, particulièrement avec Neil Hannon ? Vincent Delerm : C’est marrant car on ne se connaît pas tant que ça. Il faisait partie des gens que je connaissais sans le connaître. Mais depuis que je suis au lycée je suis fan de sa musique et lorsque tu te trouves en face du gars en question tu as l’impression qu’il a toujours fait partie de ta vie. Pierre : Il fait un peu partie de la famille ? Vincent Delerm : Méfions nous toutefois de ce genre d’expression (rire). On peut facilement abuser le public avec ces amitiés feintes. Je peux juste vous certifier mon admiration sincère et forte envers ce monsieur. Pierre : Je parlais de famille car lors de vos brèves interventions parlé, il me semble que votre cousin et votre maman chapotent votre carrière ? Vincent Delerm : J’aime bien dédramatiser le concept du chanteur sacralisé. Souvent les artistes mentent un peu. Alors j’adore mettre les pieds dans le plat et expliquer qu’en gros vous avez choisi telle chemise sur scène car votre mère vous a dit avant de monter sur scène que la bleue vous allait mieux. En tout cas j’essaye de fonctionner par clan. Comme Chamfort qui souvent tourne autour de personnes comme Dani, Jane Birkin, Helena ou moi. Je trouve que ça fonctionne bien car cela donne une forme de cohérence à travers les années. On se rencontre avec le temps, par exemple avec Irène Jacob que ça vous oblige non pas à faire la même chanson mais ça vous oblige à marquer une différence. C’est ce que j’appelle l’équation Brassens : quelqu’un qui prenait toujours la même instrumentation : guitare et contrebasse, et s’il se permettait de refaire deux fois la même chanson il était pris par la patrouille (rire). Dans la musique actuelle c’est très marqué, on refait toujours le même disque mais à chaque fois on change de producteur. Pierre : Il y a aussi plusieurs générations qui se succèdent sur ce disque de duo, êtes vous inquiet par cette idée de longévité de l’artiste ? Vincent Delerm : Non car je fais des chansons très jetables. La chanson est un mauvais domaine pour se soucier d’une forme de postérité ou de résistance au temps. Quand j’ai signé « Les Filles de 1973 ont 30 ans » c’était sous cet angle là. Signer l’arrête de mort de la chanson : c'est-à-dire offrir une chanson inchantable 5 ans plus tard mathématiquement (rire). Pour moi les chansons sont éphémères. Bien sur vous pouvez prendre du plaisir à les réécouter car elles vous replongent dans un moment donné mais elles auront perdu de leurs fraîcheurs. Le fonctionnement des rotations en radio ne permet plus cela. Même si tout le monde s’accorde à trouver Brassens comme un monument vivant il ne passe presque plus à la radio. Pierre : Pourquoi avoir sortis l’album live en 2 dates ? Vincent Delerm : Pour que la mise en place soit plus costaude. Les questions marketings existent dans ce milieu vous savez (rire). Pour le coup je vous réponds franchement parce que je n’ai pas trop l’habitude de bosser comme ça dans le label où je suis… Pierre : «Les piqûres d’araignée » est un album qui a semble t’il changé quelque chose dans votre image mais aussi dans votre musique ? Vincent Delerm : Pour être très honnête cet album a été construit pour coller à l’énergie proche de celle que je pouvais offrir en concert. Quelque chose de plus léger que ce qui se dégageait de mes albums précédents. Bizarrement c’est peut être plus aujourd’hui que je récents ce que vous me dites plutôt qu’à la sortie du disque. Les gens se sont détendues avec moi (rire). Vous vous affranchissez aussi naturellement à un moment donné des gens qui vous ont aidé à vos débuts. C’est très difficile de travailler avec d’autres gens que ceux qui vous ont soutenu sur un premier album. Pierre : C’est l’album qui semble confirmer que vous pouvez être aussi un chanteur en studio ? Vincent Delerm : Ecoutez j’aime les chansons de mes deux premiers disques, les orchestrations, etc. mais je n’étais pas un chanteur de studio simplement car je n’avais aucune expérience de cet exercice. Le premier était pourtant assez fouillé : beaucoup plus que l’image piano-voix, beaucoup plus que ‘Les Piqûres’ d’ailleurs. Maintenant je chante beaucoup plus les mélodies que je ne les parle. C’est ça qui donne l’impression qu’un disque est musical ou non. Pierre : C’est quoi cette idée de faire votre propre première partie ? Vincent Delerm : Ce n’est pas très original vous savez. Je pense que Goldman l’a déjà pratiqué d’ailleurs. C’est juste que j’ai chanté à la Cigale en première partie de Fersen lors de mes débuts et je jouais donc à l’époque comme mes propres premières parties lors de ces 3 semaines. Et en les écoutant cela m’a fait vachement d’effets. Notamment Peter Van Poehl devant le rideau et le dernier soir j’ai donc utilisé ce moment pour rejouer des chansons que je faisais quand je n’avais pas encore fait de disques. C’était une private-joke pour les fans. Pierre : C’était plus agréable de « duoter » avec le sexe fort ou le sexe faible ? Vincent Delerm : Très honnêtement ça ne se joue pas là-dessus. Ca se joue en terme de présence de l’artiste en face de vous. Il n’y pas beaucoup de sensations érotiques sur scène (rire). Nous sommes concentrés sur le fait de jouer-chanter correctement. Cela permet par contre de découvrir les artistes… ceux qui sont complètement avec toi, d’autres qui sont très solides, ceux qui te paraissent très fragile dans la vie et qui explosent sur scène… c’est donc très marrant ne serais ce que par curiosité malsaine (rire). Pierre : Vous préparez votre prochain album là ? Vincent Delerm : C’est ce qu’on dit quand on ne glande rien et qu’on boit des cafés effectivement. Pierre : Où que l’on passe chez Michel Drucker ? Vincent Delerm : Exactement ! J’ai dis ça chez Drucker mais c’est vrais : l’année ou vous êtes en tournée vous êtes très dispo mentalement mais l’on se concentre sur l’énergie du concert et là je suis dans l’année où l’on se dit ‘préparer un disque’. C’est difficile de dire « activement » car vos journées se passent à jouer du piano… ça fait un peu mal de considérer ça comme du boulot alors que certains bossent à l’usine. Pierre : Oui mais eux ne doivent pas se farcir Michel sur son canapé ? Vincent Delerm : Je ne suis pas sur en plus ! (rire) Au contraire c’est populaire Drucker… votre réflexion c’est vraiment n’importe quoi (rire).