Avant de débuter cette rencontre avec Saule, il est important d’aller voir (peut être même avant l’écoute) son univers visuel sur www.sauleetlespleureurs.be/ . Avec son petit air de Benjamin Rabier moderne, ce site permet de mieux comprendre l’artiste iconoclaste qu’est ce jeune belge rempli de talent. Pamphlétaire sans être agressif, pierrot lunaire ou franc tireur dans les bottes de Dutronc (écoutez « Le Boss » pour comprendre) mais aussi tendre et mélodieusement travaillé son premier album est d’une incroyable diversité.
Pierre : Votre album s’intitule « Vous êtes ici » mais où sommes nous exactement ? Saule : (rire) Vous avez là un double sens ! Il peut d’abord être compris pour ceux qui vont écouter le disque et ensuite pour expliquer moi personnellement où j’en suis. Pour les premiers c’est un univers assez décalé, avec des fables racontant la vie de personnages particuliers dans la lisière d’un monde de chansons que je propose ; par rapport à moi c’est le tout début donc je ne fais que regarder où je me situe. Pierre : Pour continuer sur un registre géographique, votre musique se situe entre quoi et quoi ? Saule : Entre la simplicité et la fantaisie. Pierre : En vous appelant Saule je suis obligé de vous demander de quel bois vous vous chauffez ? Saule : Le plus chaleureux, le plus combustible qui soit. Pierre : C’était donc logique en vous dénommant « Saule » de donner la priorité à la guitare sèche ? Saule : C’était surtout par réaction à mon passé, avant je me trouvais embarqué dans des délires rocks avec la surenchère de guitares obligatoire, des pistes sur des pistes, avec ce projet j’avais envie de créer un disque où tout serait assez dénudé avec des percussions africaines ou des ballets pour la batterie plutôt que des baguettes. J’ai vraiment cherché à rendre ce disque chaud et chaleureux. Pierre : C’était un moyen de faire ressortir vos textes également ? Saule : A partir du moment où vous situez votre propos dans un climat intimiste, la parole prend encore plus de place. Pierre : Parallèlement à ce minimum, vous incorporez des recherches sur les chœurs, vous mettez des trompettes sur « Madame Pipi » dans une ambiance feutrée jazzy ? Saule : Du squelette de la chanson pur et dur j’aime beaucoup bidouiller. Expérimenter. Entendre une fanfare qui pourrait venir de la Nouvelle-Orléans. J’essaye aussi de faire venir l’accident, être à l’écoute de ce qui se passe autour de l’os. Pierre : Il y a sûrement aussi une part de belgitude et de melting-pot culturel dans votre musique ? Saule : Oui c’est vrai. J’habite à Bruxelles et je suis fasciné par l’idée que dans une rue particulière il y a plus de cinquante langues parlées. Il y a des gens qui viennent de plein de pays. Cela donne des dialectes très particuliers, vous pouvez avoir un marocain qui va causer brusselaire mais qui intégrera des expressions africaines. Pierre : Vous chantez les gens « normaux», évoquez les rêveurs, la France ou le monde « d’en bas », avez vous une grande sympathie pour le genre humain ? Saule : J’ai été élevé de cette manière, j’ai toujours été très sensible à ce que peuvent ressentir les gens, même les inconnus, du coup j’observe tout ce qui gravite dans mon entourage. Pierre : L’autodérision matinée de tendresse vous correspond bien ? Saule : L’autodérision a toujours fait partie intégrante de moi. C’est quelque chose de curatif. De manière à avoir une arme contre soi-même. Pierre : L’arme des timides c’est de prendre un micro et d’enregistrer un album, avez vous fait cet album pour vous guérir d’une anxiété maladive ? Saule : J’ai une grosse part de timidité chez moi mais en même temps j’ai cette double personnalité : je peux tout aussi bien me laisser aller en total désinhibition. L’écriture comme la scène sont de formidables exutoires à ma partie réservée et timide. Les gens timides me touchent particulièrement, je me souviens être allé voir Yann Tiersen en concert, il terminait tous ses morceaux par un simple ‘merci’ par excès de timidité et au bout du 10ème morceau les gens en arrivaient à le dire à sa place (rire). Pierre : A ce sujet, un timide qui croit en plus à la « Loi de Murphy » (théorie sur la malchance qu’il chante) aurait il eu le cran de sortir un album ? Saule : «(Rire) C’est marrant car finalement la loi de Murphy toute poisseuse qu’elle est, m’a permis de découvrir beaucoup de gens très bien ! Les gens qui sont à l’origine de ces théories sont surtout des personnes qui ont voulu faire de l’humour. Donc cette loi qui a tendance à fermer les portes chez moi m’a permis d’en ouvrir. Pierre : « Tu dors » c’était un moyen de faire la nique à Claude François et à son « Comme d’Habitude » ? Saule : «(Rire) « Tu Dors » est un auto portrait. Un gars qui court tout le temps, qui s’excuse de ne pas être auprès de sa chère et tendre. Bien souvent j’ai des garçons qui me disent qu’ils ont mis cette chanson pour exprimer ce sentiment à leur fiancée. J’adore ce genre de témoignage, je m’imagine ainsi que je ne suis pas tout seul sur le bateau. Pierre : Avec le « Le Baiser » vous êtes dans le « qui trop embrasse mal étreint » mais surtout comme dans toutes vos chansons vous envoyez l’auditeur sur une piste pour bien souvent dans la chute nous étonner en changeant le sens profond de la chanson ? Saule : C’est vrai, par exemple sur un morceau comme « Madame Pipi » les gens commencent toujours par rigoler en pensant qu’ils vont se marrer et tout d’un coup je sens la tention qui bascule. Se rendre compte qu’un silence s’installe dans la salle et de voir que les gens sont émus dans les premiers rangs c’est quelque chose de formidable. Pierre : Apparemment vous êtes aussi à l’aise seul sur scène dans une petite salle, qu’avec vos ‘pleureurs’ sur des festivals, comment percevez vous vos chansons sur l’une ou l’autre des possibilités ? Saule : C’est très différent, au début pour une question de facilité c’était beaucoup plus facile de se pointer seul avec une guitare qu’avec un groupe, au niveau organisation et logistique c’est beaucoup plus simple, après sur le côté artistique j’ai l’impression de me foutre à poil devant les gens et là je suis obligé de baisser ma garde en restant sur le fil du texte, l’avantage aussi c’est de pouvoir faire parler le silence ! Avec le groupe des « Pleureurs » il y a un vrai côté festif, ils ont tous la faculté de chanter en plus d’être musiciens donc peuvent moduler d’une façon particulière les chœurs. On étend ce jeu pour faire quelque chose à la Frère Jacques (rire). Pierre : Avoir quitté le théâtre pour les planches de salles de concerts, vous l’avez fait sans regret ? Saule : Finalement la scène reste la scène. Incarner un personnage c’est raconter une histoire aux personnes dans la salle et dans Saule je fais exactement la même chose. Le théâtre continue à vivre en moi sur une facette différente. Pierre : Pour votre clip de « Si » vous avez fait appel à des artistes que j’adore c’est à dire PicPic et André ? Saule : Ils sont géniaux ! Ma maison de disque belge c’est Bang, à l’origine de groupes comme Deus ou Jéronimo, le pilier de cette maison est un copain des Pic Pic, ils se connaissent depuis… pfftt ………au moins la période où je devais porter des couches (rire). Quand il a été question d’un clip on a tout de suite pensé à eux. Ils ont écouté l’album en aimant bien et du coup j’ai été catapulté dans cet univers sans fin (rire). Je me suis amusé comme un gosse de 4 ans : je crois que cela se voit sur ma tronche dans le film ! Pierre : Le rêveur qui se faisait engueuler enfant d’avoir la tête en l’air a t’il trouvé le moyen de prouver que le rêve mène à tout ? Saule : Votre question me fait froid dans le dos quand j’y repense (rire). Quand j’étais gamin j’avais un côté tête en l’air avec sur chaque bulletin ‘Baptiste à énormément de capacités si seulement il voulait se donner la peine’. C’était le leitmotiv qui revenait chaque année (rire). Finalement oui c’est un beau pied de nez en prouvant que le rêve peut faire vivre un parcours artistique.» Pierre : Pour terminer s’il ne vous restait qu’une seule phrase pour conclure cette interview ? Saule : La route est encore longue.»