Alors que le cœur de la France bat au rythme du foot, certains plus raffinés, moins bestiales s’attardent sur « Les Lys Brisés » premier album d’une cantatrice populaire ou artiste élégiaque. Barbara Carlotti chanteuse overground gagne tous ses matchs sur 14 rencontres et autant de chansons. De quoi donner de la tachycardie aux coqs de la basse-cour et beaucoup de soucis à Raymond Domenech.
Pierre : Pour moi votre disque est un disque d’images. Un film qui se coule à nos oreilles. Quelle ne fut pas ma surprise de vous retrouver au centre de la conférence « cinéma et chanson » ? Barbara Carlotti : C’est une idée que j’avais eu lorsque j’étais en résidence à Blanc-Mesnil. On ne peut pas dire que je sois cinéphile mais disons qu’après la musique ma passion artistique se porte sur le cinéma. Je tenais à aller voir de plus près le répertoire de chanson qu’il y avait dans les films. Je souhaitais en chanter certaines. Donc nous avons monté la conférence avec Vladimir Léon qui est réalisateur et Benjamin Esdraffo qui est mon pianiste sur le disque et sur scène mais qui est aussi acteur et réalisateur. Nous voulions faire quelque chose de général et chronologique en partant de la comédie musicale américaine jusqu’au cinéma d’aujourd’hui plus confidentiel qui utilise la chanson comme rupture dans le film plus que comme accompagnement. On s’est aperçu que dans le cinéma moderne notamment chez Renoir la chanson était utilisée comme un instant qui avait son temps à lui, brisant la fluidité de l’image. Pierre : Vous étiez donc dans le rôle de « La Chanteuse » ? Barbara Carlotti : Ce n’était pas une conférence conventionnelle avec le côté rébarbatif, on peut même dire que c’était un vrai spectacle. Le conférencier joue son rôle qui est écrit, chacun de nous est venu avec ses films favoris, ses chansons préférées, sa propre connaissance du cinéma. Dans mon rôle je pouvais intervenir dans son discours, l’interrompre, me mettre à chanter, idem pour le pianiste. Pierre : Avec « Les Lys Brisés » on peut vous décerner le premier rôle car vous accomplissez un tour de force incroyable et un disque admirable. Vous destiniez-vous toute petite à devenir « Chanteuse » ou étiez-vous motivée par une autre forme artistique ? Barbara Carlotti : Cela fait très longtemps que je chante. Dès que j’ai eu mon bac j’ai décidé d’être chanteuse même sans savoir exactement où j’allais c’est à dire sans savoir dans quel répertoire j’allais atterrir mais plutôt, car intimement cela avait du sens de chanter. J’ai mis beaucoup de temps à trouver, j’ai fait du jazz, j’ai fait un peu de lyrique aussi, de la musicologie. J’ai compris ensuite que je me sentais le mieux dans mes textes et mes propres musiques. Pierre : On n’est jamais aussi bien servi que par soi-même ? Barbara Carlotti : Je sacralisais beaucoup la musique et les chanteurs, j’ai beaucoup de mal à m’approprier quelque chose qui vient des autres. Personne ne chantera aussi bien que la version d’origine. Je ne me sentais pas faire des reprises. Pierre : Par contre vous reprenez « Une Rose pour Emily » de Colin Blunstone des Zombies ? Barbara Carlotti : C’est une adaptation. J’ai ré-écrit le texte en m’attachant plus à la nouvelle qu’à ce qu’il racontait lui dans la chanson. Je suis revenu à l’origine pour me l’approprier. Je considère que le texte m’appartient beaucoup, surtout que j’y ai rajouté pratiquement un couplet et un refrain. Pierre : Vous avez le même profil qu’Emilie Simon, toutes deux vous avez suivi des études de musicologie, mais pendant qu’elle cherchait un son artificiel pour son album, vous avez tenu absolument à garder un son organique ? Barbara Carlotti : A la base j’ai le goût des sons naturels et de la musique acoustique. J’aime les instruments traditionnels voir classiques et utilisés comme tels. J’’aime la simplicité du folk. Tous les groupes que j’aime, les instrumentations que j’aime sont dans ce critère. Nina Simone ou Bob Dylan dans leurs origines c’est juste une guitare ou un piano et une voix. C’est ce qui me plait. C’est dans ce côté naturel que je peux faire exister mes chansons. Pierre : Vous considérez de quelle manière votre voix, comme un instrument à part entière ? Barbara Carlotti : Je ne pense pas que ce soit un instrument. Je compose au piano ou à la guitare mais je ne suis pas instrumentiste ou technicienne, ce sont juste des outils pour composer et imaginer des arrangements donc là on peut parler d’instruments permettant d’arriver à quelque chose . Alors que ma voix c’est la seule chose que j’ai travaillé mais pour moi elle est indissociables des mots et de ce que l’on doit raconter. C’est trop lié au corps. Dans mes compositions ma voix est la première chose que j’emploie et c’est à partir d’elle que tout né. Pierre : Ce qui est frappant aussi c’est d’entendre se mélanger votre voix si raffinée et travaillée avec une guitare électrique qui griffe l’harmonie générale, est ce que c’est une revanche sur une carrière de chanteuse classique incompatible avec vos goûts ? Barbara Carlotti : Pas du tout. Je n’oppose pas la musique classique avec la musique pop. Dans l’histoire de la musique pop, il y a énormément de groupes qui font référence à la musique classique. Je pense que c’est une histoire d’époque. Si j’avais eu les moyens de faire une carrière de chanteuse lyrique j’aurais été très contente de chanter ce répertoire. J’aime Rufus Wainwright ou d’autres qui ont des arrangements de cordes dignes de Brahms ou de grands compositeurs. C’est enrichissant de tout mélanger et d’accorder ou ré-accorder ces choses. Pierre : D’ailleurs sur une photo dans le livret on aperçoit dans votre barque un disque de Dylan et un autre de Marlène Dietrich ? Barbara Carlotti : Exact et aussi un disque de Simon et Garfunkel ! (rire) Dietrich c’est un clin d’œil. Ce n’est pas forcément qu’elle correspond à ce que je suis mais sa manière de chanter et d’être est assez unique et passionnant. C’est le personnage qui me fascine plus que la musique. Ce que j’aime c’est qu’il est impossible de la réduire à une caste artistique. C’est aussi un truc d’image : les pochettes de vinyles ! C’est un vrai objet à voir (aussi) et pas qu’à écouter ! Pierre : C’est aussi ce qui doit avoir séduit votre nouvelle maison de disque car vous êtes la seule chanteuse française du catalogue, cela vous a surpris que 4AD vous sollicite? Barbara Carlotti : Je n’ai pas de craintes par rapport à ça. J’ai l’impression d’avoir eu beaucoup de chance que Beggars et 4AD s’intéressent à moi. Je suis ravie car c’est un catalogue que j’aime énormément. Récemment ils ont signé Scott Walker ! C’est quelqu’un que j’adore par la radicalité de son travail. Je suis super contente d’être au milieu de ces gens là. Pierre : Vous avez écouté son dernier album ? Barbara Carlotti : Ho oui ! je le trouve vraiment très beau. Scott Walker est un artiste exemplaire dans le sens où il fait évoluer son œuvre du début jusqu’à la fin, il y a une tenue extraordinaire dans ce qu’il fait. C’en est presque étonnant : c’est entre la musique de film, la musique contemporaine et un objet complètement original. Il a cette manière de chanter que j’adore. Pour moi il y a très peu d’artistes qui savent se renouveler et pousser les choses autant. Pierre : Que reste t’il de « Chansons », votre premier EP avec sa souscription pour presser le disque, sur « Les Lys Brisés » ? Barbara Carlotti : Beaucoup de choses. Quand je ré-écoute mes maquettes de départ il y a une cohérence. Je n’ai fait qu’étendre parce qu’il y avait plus de moyens, plus de personnes et de temps de travail. C’est juste une extension ou un développement naturel. On est parti de quelque chose de spontané et minimal voir parfois un peu brut avec « Chansons » et on a réussi par un travail collectif avec les musiciens à enrichir tout en gardant l’esprit initial. Pierre : Pour avoir écouté vos 7 premiers titres on se disait mince il n’y en a pas assez et là hop comme par enchantement vous multipliez par deux l’état de grâce… Barbara Carlotti : (Rire) le double ! Dans le prochain album il y en aura 7 de plus pour arriver à 21 ! (rire) Pierre : Dans cet album de 14 chansons donc, vous laissez l’auditeur prendre le temps de monter dans votre barque ? Barbara Carlotti : J’ai beaucoup réfléchi à l’ordre des morceaux. Je tenais à mettre en valeur chacune des chansons dans ce qu’elle avait de spécifique après je ne peux pas vous dire si c’est progressif ou suffisamment progressif pour que l’auditeur puisse s’immerger dans mon univers. Si c’est le cas je suis contente car un bon album c’est un disque où il faut prendre le temps avant d’arriver à saisir toutes les subtilités. Pierre : Chez vous ce qui est impressionnant c’est qu’on aime l’album dès le départ mais qu’on trouve toujours quelque chose de plus à aimer au fur et à mesure des écoutes. Barbara Carlotti : Je ne peux que prendre votre compliment (rire). Pierre : La légende voudrait que vous ayez écrit les textes en une nuit ? Barbara Carlotti : Pas tous mais certains oui. ‘Tunis’ par exemple je l’ai écrit en 3-4 heures après avoir raté mon avion. ‘Cannes’ aussi. ‘Les Nuits des Amants’ est une chanson qui a été plusieurs fois retravaillée : les chœurs, la partie centrale. La plupart sont des chansons spontanées. Chez moi il y a quelque chose d’immédiateté qui vient de l’émotion. Il faut qu’il y ait quelque chose de très rapide à poser, après je réajuste mais les chansons naissent d’une manière rapide. Pierre : Jean-Pierre Petit est votre grand collaborateur ? Barbara Carlotti : On s’est rencontré alors que j’avais écrit mes chansons pour le 7 titres. Je l’ai rencontré dans une fête où je chantais. Il intervenait publiquement dans mon set car apparemment je l’énervais à prendre autant de place dans une soirée qui n’était pas destinée à ça. Du coup on a discuté par la suite, on a parlé de musique et très vite on s’est mis à travailler ensemble. De là, il m’a accompagné sur mes dates de concerts et il m’a aidé dans l’écriture. Il est devenu réellement indispensable. Son jeu de guitare est à la fois simple et brut et j’adore ça. Pierre : Ai je le droit de dire que vous êtes un O.C.N.I c’est à dire un Objet-Chantant-Non-Identifié ? Barbara Carlotti : (rire) pourquoi pas ! Pierre : Je vais quand même m’expliquer sur ce qualificatif : à l’heure où les chanteuses débutent leur carrière à 18 ans pour la terminer à 22 grand maximum, vous avez pris votre temps, vous avez picoré un peu partout : dans la danse, dans la comédie ? Barbara Carlotti : Oui mais je ne suis pas actrice ou danseuse… mais c’est vrai que je suis quelqu’un de très lent pour faire naître les choses. Autant les chansons sont écrites spontanément autant le temps de latence avant d’arriver à savoir comment je vais faire les choses est très long ! Pierre : C’est un côté perfectionniste ? Barbara Carlotti : Il y a peut être aussi un besoin d’être complètement sure de la direction dans laquelle je vais pour que je parte vers cette voie. A partir de là les choses peuvent aller très vite car je suis par ailleurs très impatiente. Même si je savais que je voulais chanter à 18 ans il m’a fallu du temps pour savoir comment et de quelle manière. C’est aussi une histoire de rencontres. J’ai beaucoup navigué autour avant de rentrer dans le cercle. Sûrement pour être sure de ne pas me tromper. Maintenant si les gens n’aiment pas ce que je fais ce n’est pas catastrophique car je sais que la direction dans laquelle je me suis engagée me convient. Pierre : A part à vous même, à qui s’adresse cet album ? Barbara Carlotti : A tout le monde ! mais il ne s’adresse pas à moi. C’est moi mais ce n’est pas à moi que je m’adresse. Il n’y a pas d’âge, de limite ou quoi que ce soit, il faut juste que cela touche. Pierre : Quelle est la personnalité qui vous fera plaisir en déclarant qu’il est fou de votre album : Etienne Daho par exemple ? Barbara Carlotti : Oui (rire). Je suis toujours fan. Quand j’écoute certaines chansons de « Pop Satory » j’avoue qu’il y a des choses qui ont vieilli dans les arrangements mais les chansons sont toujours très belles. Pour moi les chansons sont indissociables des personnalités qui les font. Etienne Daho je pense ne s’est jamais trahi. Pierre : Pour conclure, ne pensez-vous pas que Cannes ait perdu de sa splendeur ? Barbara Carlotti : Je trouve que ce qu’on en fait médiatiquement est agaçant. Tout ce battage médiatique est devenu ridicule. Je pense que ma chanson en dit suffisamment là dessus (rire). C’est quand même bien que ce genre d’évènement existe. C’est quand même un évènement dingue… et on peut donc en rire.