Raphael - Concert La Cité (Rennes) 2004

Raphael - Festival Le Bruit de Melun 2006

Raphael - Festival Le Bruit de Melun 2006

Raphael - Festival Les Vieilles Charrues 2006

Raphael - La Fête de L'Huma 2006

Raphael - Interview 2008

Raphael - Festival Confluences 2009

Raphael - Festival Les Vieilles Charrues 2013




Interview

Raphael - Interview - Pierre Derensy


J’ai maudit Raphaël. Je crois que c’était en hiver pour l’un de ses concerts. Jusque là j’appréciais tout ce que les autres, les païens que nous sommes tous quelque part, lui portaient à charge : sa fragilité, son sens de la rime, les mélodies sèches et les ouragans de voyages. Nous étions lui et moi des nomades, perdu en plein désert barbare, à vouloir obstinément percer le ballon gonflée à l’hélium de notre enfance envolé depuis longtemps. Je l’ai haïs pour une autre raison. Dans la chaleur de son set, en plein match entre lui et la foule, il s’est permis de reprendre un titre des Clash ; et pour tout ce que cela renvois : on ne récupère pas la bande de Joe Strummer, qui plus est dans la folie pyrotechnique d’une horde de fans à briquets rose à phénotype féminine qui ne connaissent pas grand-chose à l’objet de culte (hors période Raphaélique) punk-ska. Je salue l’audace et le courage, je me méfie de l’inconscience. J’étais tellement dépité que j’ai passée le reste du concert au bar. Et lorsque ma douce est venue, tout sourire, m’avouer qu’elle était sûrement amoureuse de lui : je l’ai quitté. La faute à l’alcool mais pas seulement. Il m’a fallu le CD live au Châtelet, un moment fort et intrépide pour remettre le nez dans son hôtel de l’univers. Sa collaboration à l’Eldorado de Stephan Eicher m’a permis de remettre encore de l’eau dans mon vin. Il était temps que je juge « Je Sais Que la Terre est Plate ». Soit pour lui dire tout le bien que je pense de son travail, soit pour lui casser la gueule du fait de ma dépression sentimental. Rendez-vous fut donc pris. Au Royal Monceau. Le même lieu ou j’ai rencontré Michel Sardou. J’espérais pour nous deux que les comparaisons allaient s’arrêter là. Raphaël est myope, comme une taupe, et au jeu des questions-réponses il est une sorte de sniper qui ne laisse rien passer de vos approximations. Un myope avec un canon scié pointé entre vos yeux c’est plus que dangereux. Surtout quand vous n’avez pas trop peur de la mort comme moi. Aux questions ouvertes, il répond fermé. Je vais vous livrer notre « face to face » ci-dessous, en vous précisant bien que toutes les réponses qu’il m’a proposées quand je les compile doivent faire au kilo : à peine le quart d’une seule réponse d’un autre artiste. Ce que j’ai compris en analysant la chose, c’est que cet homme est un angoissé perpétuel, qu’il se déteste peut être, je ne sais pas exactement. C’est quelqu’un qui tourne autour de 1 000 épreuves en forme d’étoiles alors comment voulez vous qu’il réponde de manière pragmatique à vos questions beaucoup plus terre à terre. Je ne suis pas peu fier de me tromper parfois. C’est peut être le cas. Peut être que la clef du mystère qui plane autour de lui et que je pense avoir découvert va m’amener vers une rue sans issue. Car il prend souvent cette « voie » sur ce dernier disque, qui le mène vers un Christophe polyphonique, de l’autoroute des premiers tubes jusqu’à la départemental des derniers morceaux, ce que je suis certains c’est qu’il propose non pas un petit bijoux artisanal mais une grosse machinerie merveilleuse. C’est souvent très agréable de penser grand. Je crois que ce dernier album est d’une qualité supérieur au précédent (écoulé à 1 800 000 ex.) donc il risque de ne pas se vendre mais qu’importe. En l’écoutant chanter je me suis dis que c’était toujours ainsi que je m’étais imaginé la voix d’un papillon de nuit. S’il y a toujours des départs et des arrivées dans ses chansons, des histoires de cul recouvert de dentelles fines, des eaux saumâtres et du gris parfait, il y a aussi des moments vertigineux qui font que de la piste 7 « Quand c’est toi qui conduit » à l’instrumental de la fin, rien n’est à jeter à cette face B d’un vinyle hypothétique qui serait usé jusqu’à la corde de la pointe en diamant de ma platine. Pour moi ce disque est une simple annale d’un écorché vif enfoncé consciemment sur les terres des cow-boys et des samouraïs. Mes collègues y trouveront ce qu’ils veulent, vous décriront en profondeur titre par titre les morceaux. Je n’abois pas avec les chiens. Je garde le silence et je décrypte les siens.

Pierre :
Pour débuter je voudrais savoir si tu connaissais le roman de Malcolm Lowry « Sous le Volcan » car s’il me fallait résumer tes disques et ta carrière je prendrais ce livre ?
Raphael :
Moi aussi. J’adore ce livre.
Pierre :
Il te ressemble un peu ?
Raphael :
Oui il est dingue. C’est un peu chiant mais en même temps il est dément et profond. Franchement tu ne pouvais pas mieux tomber. J’ai fais une chanson pour Eicher «Rendez-vous » qui parlait un peu de ça…
Pierre :
Justement, j'allais y venir, la chaine qui relit le précédent album et le nouveau c’est il me semble cette chanson ?
Raphael :
Peut être…
Pierre :
Parce que pour moi : « Le Vent de l’Hiver » la première chanson de ton nouvel album débute avec ce sentiment d’un voyage au pays de la musique Klezmer ?
Raphael :
Je trouve ça très joli mais je ne connais pas bien cette musique. Je pensais plus à un coté russe. Pour le changement de tempo et la clarinette je te rejoints mais c’est vais que c’est bizarre, je ne sais pas ce qui m’a pris (rire).
Pierre :
Alors pendant que Christophe pense que la terre penche, toi tu la trouves plate ?
Raphael :
Oui moi je pense qu’elle est plate… mais si elle penche et qu’elle est plate quelque chose me dit que ce n’est pas bon (rire).
Pierre :
Serait tu un disciple de Lactance qui est l’un des premiers à avoir déclaré que la terre était plate ?
Raphael :
Tu penses que je suis un extrémiste religieux ? (Rire) L’histoire est plus simple, il faut toujours trouver un titre à un album et pour trouver un titre j’essaye de trouver dans mes chansons une phrase qui pourrait coller. Et celle qui me semblait la plus énigmatique et la plus intéressante c’était celle là. J’aimais cette idée de truc non cartésien. Il y a une distance poétique, quelque chose qui se trouve au delà de l’idée et du langage. J’aimais bien aussi soutenir que les choses ne sont pas forcement ce qu’elles semblent être. Dans ce disque j’étais branché sur le pilotage d’avion… voilà c’était donc un ensemble de trucs.
Pierre :
J’aime bien cette idée que tu ne dis pas « je crois » mais « je sais », être chanteur c’est ne jamais tomber dans le doute ?
Raphael :
Je ne refoule pas le doute. Je le laisse vagabonder, il coule à flot en permanence. Je suis certainement trop dans l’exercice du doute. Par contre quand je fais des choses je ne me laisse pas gagner par le doute, c’est à partir du moment où je ne peux plus les changer…
Pierre :
A partir d’ ‘Adieu Haïti’ on change de continent, comment as tu convaincu Frederick Toots de venir chanter avec toi ?
Raphael :
Je l’ai rencontré à Solidays. J’ai fais cette chanson en août dernier et quand je l’ai faites je pensais déjà à lui. Je lui ai simplement envoyé un mail et il m’a répondu « ok je vais le faire ». J’ai toujours été fan de lui et je peux te dire que ce fut un très beau cadeau de le voir participer à mon album.
Pierre :
Peut on dire que c’est ton disque Word au vu du casting des musiciens ?
Raphael :
Non parce que finalement sur le précédent c’était déjà ça. Ca ne se sent pas au final cette empreinte word. J’ai beau prendre les mecs les plus funky de la planète je ne serais jamais funky (rire). Il y a une espèce de magie qui fait que lorsqu’ils viennent ils se font sciemment absorber par mon univers et au final cela reste dans ma veine.
Pierre :
Quand on est en studio avec ces musiciens de tous les horizons se sent on dans une Tour de Babel qui ne se casse pas la gueule ?
Raphael :
Les seuls un peu compliqués sont les musiciens africains. Ils sont capables de te jouer du jazz alors que ce n’est pas à l’origine et dans la demande cette couleur que tu demandes. Robert Aaron est une sorte d’hybride entre le continent africain et américain. Il est dingue et s’adapte à tout alors qu’il est canadien. Les autres ce sont des américains ou des anglo-saxons. Ils se connaissent tous, ils ont tous joués avec Bowie, Dylan, Springsteen et ainsi de suite donc ils entendent la musique de la même manière.
Pierre :
L’Afrique est la terre d’origine de l’espèce humaine donc de la musique ?
Raphael :
En tout cas elle vient beaucoup de là bas… Le blues il vient de là et le rock vient du blues.
Pierre :
Tu paraphrases un artiste là ?
Raphael :
Je ne vois pas… hum… Johnny peut être (rire). Mais le blues vient du Mali…
Pierre :
L’avion est très présent dans cet album ?
Raphael :
Oui… fini la caravane. C’est l’avion postal. Aux ailes de toiles. Je suis très nostalgique de l’époque des héros de l’aéropostal. Enfin j’ai pas connu mais je présume que cela devait être cool.
Pierre :
La nostalgie est ton meilleur amis ou ton pire ennemi ?
Raphael :
C’est un bon ami. Une bonne amie.
Pierre :
Quand on part dans une nouvelle aventure avec 1 800 000 disques vendu du précédent on se dit que c’est compliqué de rester sur les cimes ?
Raphael :
C’est assez compliqué à gérer. Disons qu’un gros succès c’est une expérience qui vous affecte. Qui vous atteint serait plus juste. Je trouve beaucoup plus de cotés positifs que négatifs à cela. Mais en fait cela fait une grosse montée et une bonne descente. Ce qui est difficile c’est de gérer la descente.
Pierre :
On a toujours l’espoir de remonter ou tu te trouves bien en bas également ?
Raphael :
On est bien en haut (rire).
Pierre :
C’est grisant parfois ?
Raphael :
C’est agréable. Ton disque marche bien, tu remplis des salles de concerts. C’est formidable.
Pierre :
Cela implique également un manque de critiques envers ton travail vu que tout marche ?
Raphael :
Au contraire. Plus tu as un succès commercial fort plus ton travail est exposé. Il y a des gens qui se définissent par le négatif. Cela devient tellement un truc de masse que l’élite finit par dire que c’est uniquement pour les cons vu que ça marche. Mon problème n’est donc pas un manque de critiques (rire). Ce n’est pas quelque chose dont je souffre tous les jours.
Pierre :
Toutes les chansons sont courtes, étais ce un choix ou cela s’est il fait naturellement ?
Raphael :
Je fais des chansons courtes car j’ai toujours peur de faire chier les gens. Ensuite j’aime bien le format radiophonique pour mes chansons.
Pierre :
Celui là a peut être moins de singles à repêcher dans le tout ?
Raphael :
C’est possible… je ne me suis pas posé cette question en ces termes. Pour « Caravane » on m’avait dit qu’il était pas single-isable.
Pierre :
C’est un album court mais en amont tu avais beaucoup de matériel ?
Raphael :
J’avais une soixantaines de chansons… après tu en as qui ne sont pas terribles, d’autres qui ressemblaient trop à « Caravane » ou à des chansons que j’avais déjà faites par le passée, ensuite tu en avais qui étaient bonnes mais ne s’intégraient pas dans le disque. Généralement je fais des maquettes chez moi qui serviront de bons guides et ensuite je ne prépare pas plus que cela pour laisser jaillir l’inspiration dans tous les sens en studio.
Pierre :
Y a-t-il une chanson justement sur ce magma qui t’a étonné, que tu ne pensais pas inclure et qui finalement a trouvé sa place sur l’album ?
Raphael :
Je sais que la Terre est Plate » par exemple. L’apport des musiciens joue un grand rôle dans mes choix finaux.
Pierre :
Partager la production d’un disque entre 2 personnes en plus de toi, tout en gardant une unité c’est facile à réaliser ?
Raphael :
J’ai bien eu raison de me choisir (rire). Je suis peut être le chaînon manquant (rire). L’unité vient de là je pense. J’aime bien bosser avec plusieurs réalisateurs. Prendre des types différents. J’avais une entière confiance en Toni Visconti et Renaud Letang.
Pierre :
Tu étais là pour faire tenir le navire ?
Raphael :
Exactement
Pierre :
La chanson « Les Limites du Monde » me fait penser au film «Le Scaphandre et le Papillon » ?
Raphael :
J’ai trouvé le film somptueux. Cette idée de voyage immobile. Ce type qui est cloué dans un lit et qui rêve aux femmes et à la volupté.
Pierre :
Dans cette société n’as-tu pas l’impression d’être justement dans un scaphandre ?
Raphael :
Un asile plutôt (rire).
Pierre :
Quand tu proposes un album, tes chansons sont offertes à qui : à toi, à une personne en particulier ou à un public plus large ?
Raphael :
Aux 3. Quand j’écris une chanson c’est destiné à une personne proche, mais après je ne pourrais pas me contenter de ces gens là. Je ne peux pas me dire que mon disque plairait à 10 personnes et ensuite j’en ferais un autre.
Pierre :
L’instrumental en bout de disque c’est pour faire plaisir à qui ?
Raphael :
A la base c’était une chanson avec un texte, une mélodie. La voix m’énervé et j’ai trouvé ça vachement mieux. J’aime bien quitter un disque par un instrumental.
Pierre :
Tu as fais à nouveau appel à Olivier Dahan pour ton clip, qu’est ce qui te plais dans son univers ?
Raphael :
Tous les autres clips qu’on avait fait ensemble j’avais bossé sur le scénario. Alors que là je n’arrivais pas à faire fonctionner mon imaginaire. J’étais partis sur un truc trop romantique qui surlignait trop mon discours. Je l’ai laissé faire et je trouve qu’il s’en ait bien sorti. Il génère quelque chose ce type. Tu peux arriver sans idées, en 2 heures il génère le chaos en toi et te sort toujours quelque chose de fabuleux. Il écoute tout ce que tu dis, il est réceptif et humble.
Pierre :
Je remarque que tu parles beaucoup mieux des autres que de toi-même ?
Raphael :
Ha bon ? Tu veux que je dire que je suis humble et super ? C’est difficile de porter un jugement de valeur sur ma personne et mon travail. Si c’est négatif je ne vois pas ce qui est intéressant et si c’est positif cela peut paraître de la prétention.
Pierre :
L’album a été enregistré à partir de fin Septembre, pendant toute cette période tu es comment ?
Raphael :
Je pense que je suis insupportable. C’est très dire à vivre pour les gens autour de moi. Même après tu sais, c’est un métier qui est dur. Dur pour les autres. On épuise les autres. C’est tellement important pour nous.
Pierre :
Participer aux Aventurier d’un Autre Monde ce fut enrichissant ?
Raphael :
On s’est bien marré. Il n’y avait que Bashung que je ne connaissais pas. Et ce fut une révélation, ce type a une classe folle. Ce qui est drôle c’est qu’on sort pratiquement tous un nouvel album à la même période sauf Jean-Louis Aubert. On va voir si cela nous porte chance cette histoire (rire).
Pierre :
Tu t’intéresses aux chiffres de ventes de tes albums ?
Raphael :
Oui...
Pierre :
1 800 000 albums alors ?
Raphael :
C’est un bon chiffre (rire).
Pierre :
Oui mais peut on intellectuellement l’imaginer ?
Raphael :
Cela devient abstrait…mais en fait c’est cool (rire) je préfère largement être de ce coté de la barrière.