Interview

Polar - Interview - Pierre Derensy


On m’avait prévenu que pour faire une interview de Polar il fallait courir à son rythme. Comme je n’avais pas réussi à savoir à l’avance si c’était au sens propre ou au figuré, je m’étais entraîné comme un dératé. Questions au trot, réponses en petites foulées et beaucoup de barres énergétiques dans la musette, me voilà donc face à ce chanteur de fond à la marge de progression encore énorme.

Pierre :
Polar, outre ton nom de scène, est également une marque de cardiofréquencemètres alors comment va ton cœur aujourd’hui ?
Polar :
Mon cœur bas très lentement, le matin en me réveillant je dois être en dessous de 50 pulsations minute.
Pierre :
Pour un ex- champion de cross-country, prendre ce nom était une évidence ?
Polar :
Avant d’être chanteur j’étais coureur multi champion suisse sur 800 mètres et d’autres disciplines de demi-fond. J’ai toujours eu des prédispositions à faire du sport. Vers 13 ans mon frère m’a inscrit à une course et sans comprendre ce qui se passait, je l’ai gagné. Ensuite j’ai fait une carrière d’athlète jusqu’à 20 ans… j’ai gagné le cross du Figaro qui est l’une des plus grosses courses françaises.
Pierre :
C’est ton grand frère qui est à l’origine de tes 2 passions pour la course et la musique ?
Polar :
Je dois lui dire merci pour beaucoup de choses tu sais ! mon frère a 10 ans de plus que moi. J’avais un père assez dur et mon frère m’a ouvert le chemin. Il y a plein de choses que lui n’a pas pu faire et pour lesquelles il s’est battu en ma faveur. Faire du sport à fond et plus tard la musique. Il m’a toujours encouragé, à me faire écouter de supers disques comme Neil Young et Tim Buckley, ce qui était très différent de ce qu’écoutaient mes copains.
Pierre :
Je t’ai vu en première partie de Cali seul à la guitare et cela n’avait pas grand chose à voir avec le disque que tu viens de sortir, mais était ce un bon moyen de tester tes chansons de faire ces premières parties ?
Polar :
Déjà pour moi la scène et la situation en studio sont vraiment différentes. Quand j’ai joué ces chansons avec Cali c’était dans les premières fois où je les jouaient sur scène. Personne ne me connaissait. J’étais à peine annoncé et les gens pensaient que c’était Cali qui arrivait. Du coup j’ai fait ces concerts avec une grosse hargne, j’avais vraiment envie de choper les gens par les couilles, je voulais que ce soit intense et tendu. Ce n’est pas parce que tu es seul avec une guitare que cela ne doit pas être fort. Pour moi la scène c’est un truc tribal. J’essaye d’être le plus vif possible.
Pierre :
Dans tes chansons on entend plein de petits bidouillages loin d’une base guitare-basse-batterie brut. On perçoit ce coté binaire mais autre chose aussi de plus fouillé, de plus intense ?
Polar :
Dans ma vie de tous les jours, dans mon écriture, il y a une grosse dimension de rêve. J’adore ces choses autour qui donnent des ailes à quelque chose de basique. Sur les petits détails qui se mélangent je voulais donner une certaine amplitude.
Pierre :
Dans ton disque on sent presque tangiblement les montagnes, l’air, le souffle, as tu besoin de la beauté virginale d’un paysage d’altitude pour composer ?
Polar :
En tout cas cela a toujours été présent dans ma musique. Même si mon premier disque je l’ai fait dans une cuisine, je voulais quelque part éliminer les murs. La musique pour moi doit avoir une notion panoramique. Une notion d’altitude. Les textes avec Miossec font ressortir énormément la nature. Mes chansons ont un coté urbain mais sentent les odeurs du vertige. Quand tu rentres dans mes refrains tu rentres dans une vallée, l’horizon s’ouvre à toi. Il y a des ruptures climatiques. J’ai essayé de créer des paysages sonores, des chansons avec une topographie.
Pierre :
L’idée de le coller Miossec dans l'ancienne demeure de l'éditeur allemand Heinrich Maria Ledig-Rowohlt, proche de Faulkner et d'Hemingway a du lui plaire, c’est comme ça que tu l’as accroché quinze jours à tes basques ?
Polar :
C’était cool. Il était halluciné (rire). Je me souviens qu’à chaque moment de pause il était dans la bibliothèque pour découvrir des petits mots personnels d’auteurs. On a découvert pleins de trucs dans cette demeure.
Pierre :
Vous n’avez rien piqué ?
Polar :
Non ! (rire) mais on aurait du…
Pierre :
Quand Miossec travaille pour lui il impose ses chansons dans un cadre, alors que toi il te laisse filer dans la nature, qui a demandé à l’autre de faire un effort pour coller au mieux à tes aspirations ?
Polar :
Tu sais le fait de chanter en français est venu de lui. Il voulait vraiment faire quelque chose de spécial rien que pour moi. Je lui ai demandé de me respecter, de ne pas m’envoyer des textes déjà existants mais au contraire de s’inspirer de mon histoire, de mon personnage. Quelque part il est sorti de ce qu’il faisait d’habitude pour rentrer dans mon univers. On sent qu’il est là, on sent sa plume mais le « Je » dedans c’est entièrement moi.
Pierre :
Ses paroles ont été d’une certaine manière, comme des cadeaux empoisonnés car tu as du attendre longtemps avant de les mettre en musique ?
Polar :
Il y avait d’autres facteurs qui rentraient en jeu. J’avais déjà le blocage « français » que je devais passer, il y avait aussi tous mes autres projets lancés avant de rencontrer Miossec. Au départ nous voulions aussi faire une sorte de side-project sans en arriver à avoir un produit aussi conséquent comme il est devenu au fil du temps. Et aussi la musique des mots en français qui était totalement différente de la musique des mots que j’utilisais jusqu’alors en anglais. J’ai voulu donner du temps. Je ne voulais pas bâcler… Je savais que cela n’allait pas être un truc que je ferais en 6 mois. Tu sais on ne peut pas forcer les choses, tu ne peux pas tricher… Ce disque est singulier, je pense qu’il a une identité forte grâce à ce temps passé.
Pierre :
N’avais tu pas aussi la peur de te mettre à chanter français comme si cela n’était pas ta culture, que tu te sentais dans une imposture loin de tes idoles anglo-saxonnes ?
Polar :
C’est vrai que la chanson française n’est pas ma culture et je ne tricherais pas sur ce point mais je parle aussi bien français que toi et cela fait parti d’une certaine forme de ma culture. Dans l’univers créatif je l’avais mise de coté. J’avais besoin que quelqu’un vienne me bousculer et m’aide à faire un pas ou deux, après je savais que je pouvais me débrouiller tout seul. C’est ce qu’a fait Christophe. Il a fait plus que de m’écrire des textes. Il m’a permis d’avoir le plaisir et l’excitation d’écrire en français. Au début quand on a commencé je n’avais pas de maisons de disque… pas d’ordres à écouter ou recevoir.
Pierre :
Et je pense d’ailleurs que la meilleure chanson de l’album c’est la tienne, celle que tu as écrite et composée seul sans le grand Miossec ?
Polar :
Je pense que c’est ma préférée aussi (rire). C’est la dernière chanson que j’ai faite. J’en avais écrites plein mais on perdait le concept de l’album. Le concept ‘Polar chante Miossec’ comme dans les années 60 où les chanteurs chantaient des poètes. Mais je tenais au moins à en mettre une. Je sais où je vais aller en tout cas à partir de ça. En concert on joue plein de mes inédits. En ce moment une de mes chansons « Mon Corps se Souvient » qui se trouve sur Myspace hé bien mon public la plébiscite et j’en suis fier.
Pierre :
Tout est venu vite finalement avec ce disque, bien plus vite que tes 10 ans avant dans un cadre plus confidentiel ?
Polar :
J’avançais doucement tu sais. J’étais même prudent avec tout ce buzz. Cali, Miossec m’ont beaucoup encouragé. Encouragé à mettre d’autres titres de moi sur l’album. Mais l’histoire de ce disque était tellement belle que je ne voulais pas tomber dans l’incohérence.
Pierre :
Rien ne t’empêche dans 3 mois de sortir un nouvel album avec tous ces nouveaux titres ?
Polar :
Ca tu vas l’expliquer à ma maison de disque (rire). De toute façon je n’attendrai pas, dès que l’album aura bien vécu j’enchaînerai.
Pierre :
Pour un artiste qui a l’habitude de travailler seul et de bidouiller ses chansons, demander à Edith Fambuena (Alain Bashung, Etienne Daho, Les Valentins,) et Daniel Presley de produire l’album, c’était aussi pour donner au disque toutes ses chances ?
Polar :
Tu sais j’avais joué les chansons en concert, on les avait enregistrées mais quand j’ai ré-écouté ce qu’on avait fait, cela ne me plaisait pas. Je tenais à faire une session avec d’autres moutures. Je l’ai faite et je n’étais toujours pas content. Ensuite, troisième session et là j’étais assez fier en pensant que cela serait l’album définitif. Cette version de mon disque a circulé, Edith m’a contacté car elle avait entendu mes chansons, elle venait de finir Pauline Croze et elle m’a demandé si j’étais d’accord pour aller plus loin avec elle dans les arrangements. D’un coup je me suis braqué. Elle l’a vu et m’a proposé d’enregistrer juste 3 titres chez elle, guitare sèche et voix, elle m’a proposé de faire des arrangements dessus et de me les transmettre pour juger. Comme cela ne m’engageait à rien je l’ai fait et 3 semaines plus tard j’ai reçu son boulot. J’étais stupéfait de sa manière de me cerner. Et là je me suis rendu compte que ce disque serait un nouveau pas aussi en terme de production. En terme d’énergie, de puissance, de soulignement, je n’aurais jamais réussi à faire des morceaux de cette intensité sans elle. Daniel lui a veillé à garder l’énergie de mes démos.
Pierre :
Cela ne te manque pas ton job de programmateur de festival ?
Polar :
La règle de base c’était de donner la scène aux autres. C’était tellement riche comme expérience. Je pouvais faire des projets hallucinants avec Sparkelhorses, Nick Cave sans qu’ils sachent que je chantais moi-même. Le concert acoustique de Nick sur Paris c’est l’émulation d’un projet que j’avais fait avec lui à Genève. Je ne cherchais pas à faire tourner un groupe dans un festival lambda mais de monter des projets spéciaux
Pierre :
Tu bosses aussi parallèlement à Polar sur des projets divers ?
Polar :
Oui je fais des sortes de laboratoires. Je viens de le faire pour de la danse contemporaine. Je fais la musique de ballet pour le grand théâtre de Genève. Là c’est de l’environnement sonore. C’est du son. En décembre je devrais aller au Mali faire de la musique avec des musiciens géniaux, mais ce ne sont pas des projets discographiques. Sortir du disque cela te permet de connaître tes possibilités et de grandir. Pour moi les chansons restent ce qui est le plus important, mais mes à cotés me nourrissent dans mon travail. J’aime la musique au pluriel ! j’achète plein d’albums. Ce soir je mixe par exemple…