Que voulez vous : quand on a la grâce et la formule pour la faire perdurer pendant 2 décennies, on ne peut être que sous le charme d’une rencontre avec Etienne Daho. Daho et son « Invitation » à parcourir son dernier album et sa carrière.
Pierre : Avant de parler de votre invitation je voulais demander si vous aviez eu le temps d’écouter « Tomber pour Daho » un album de reprises de vos chansons ? Etienne Daho : «Bien sur… ça m’a beaucoup touché. Evidement j’étais surpris mais c’est le propre même des reprises : c’est qu’elles sont kidnappées, réinterprétées par la personnalité des gens qui les ont reprises. Bizarrement je trouve qu’il y a une espèce de cohérence alors que ce sont des productions différentes, des univers différents. Ce sont d’abord des artistes que j’aime beaucoup et que je respecte. Je suis très flatté et fier en tout cas.» Pierre : Je me permettrais de dire que je préfère l’original tout de même… Etienne Daho : «C’est différent. J’aime beaucoup « Promesse » par Daniel Darc, le duo Biolay-Eli Meideros. Normalement ce genre de chose arrive lorsque l’on est mort (rire). C’est hyper agréable de sentir que l’on a laissé une place et marqué de sa griffe quelque part la culture musicale.» Pierre : Pour revenir à vous, j’ai l’impression que lorsque vous produisez les autres vous offrez votre griffe en cadeau, attendez vous la même chose des producteurs qui viennent sur vos disques ? Etienne Daho : «Sur ce dernier en tout cas je voulais retravailler avec Edith Fambuena car nous avions travaillé ensemble une fois sur « Paris Ailleurs » dans les années 90, elle était toute jeune… même pas productrice mais j’avais confiance en elle au grand dame de ma maison de disque qui ne comprenait pas mon choix et prenait ça d’un très mauvais oeil. Entre temps elle a beaucoup travaillé, elle dit d’ailleurs qu' Etienne Daho c’est l’école la plus dure. C’était bien de se retrouver avec sa maturité d’aujourd’hui et mon envie. On a fait l’album à deux. On est très confortable ensemble. Il n’y a jamais de conflits d’égo et c’est très important pour moi. Le conflit de pouvoir sur un disque cela m’est arrivé une fois, pour une production que j’ai fais et c’est une désolation. Je tenais donc à ce qu’elle m’accompagne dans une vision très précise de ce que je voulais faire pour ce disque. » Pierre : L’album a été enregistré entre Londres, Paris, Barcelone et Ibiza qui sont un peu vos résidences préférées ? Etienne Daho : «En fait ce sont mes maisons. Ca parait prétentieux de dire ça mais c’est la vérité. Je pense que les micros captent vraiment ce qui se passe dans une maison ou dans un studio. Là j’ai vraiment donné une intimité extraordinaire vu que la batterie était dans mon salon. Ca a capté toutes les énergies qui séjournent chez moi. C’est une maison tout en bois, avec beaucoup d’espace qui sonne très bien. Ce qui est une chance car nous avons fait toutes les batteries, les basses, les cuivres, les chœurs, les guitares. L’acoustique était excellente et cela nous permetait de rester longtemps. Par exemple pour la batterie cela a pris 5 semaines. Car nous avons commencé par les batteries voix. Ce qui est difficile à faire car lorsque l’on est chanteur on a besoin d’une harmonie pour chanter. Alors que là j’avais le minimum. Mais cela nous a permis de faire un album avec 2 axes : l’axe de la voix, des mots et donc de l’émotion et l’axe de la batterie qui est le battement de cœur, qui est la vie. » Pierre : Je pense d’ailleurs que c’est votre album le plus rythmé par la batterie ? Etienne Daho : «Oui, c’est Philippe Entressangle qui va aussi m’accompagner sur scène qui a fait toutes les sessions de batterie. C’est quelqu’un que j’adore comme artiste et comme homme, il est tout bonnement extraordinaire. Il y a un deuxième musicien qui est sur l’album et pour qui j’ai autant d’affection c’est Marcello Giuliani… j’ai un groupe extraordinaire… sincèrement c’est formidable de bosser avec eux.» Pierre : Vous semblez enfin, non pas accepter, mais affirmer d’être à la fois un artiste du soleil et de l’ombre ? Etienne Daho : «On me l’a dit et souvent à cause de la pochette. Souvent on fait des choses de manière inconsciente. Mais je n’ai pas beaucoup de zone d’ombres vous savez, je suis beaucoup plus bon vivant et épicurien et amoureux de la vie que l’image que les gens ont de moi. » Pierre : La contradiction est pratiquement perpétuellement au cœur de vos albums ? Etienne Daho : «Comme tous les êtres humains. C’est la contradiction qui fait une personnalité et une unité. Je peux être extrêmement extravertis et à la fois très réservé. » Pierre : Les gens qualifient votre disque d’apaisé mais moi je trouve qu’il est au moins aussi dur qu’Eden ? Etienne Daho : « ‘Eden’ n’était pas un disque dur. Il parlait de la vie, de la fascination de la vie. « L’invitation » est sur le même mode. Avec une chose en plus : l’invitation à bouffer la vie, à se lâcher, la vie est trop courte il est indispensable de foncer… l’invitation c’est aussi de se sentir convié à la vie parce qu’on vous tend une main bienveillante. Ce banquet c’est la vie. C’est très épicurien. C’est un disque lucide, poétique, mais qui est un encouragement à faire ce que l’on veut. Il est peut être moins frivole…» Pierre : Vous semblez plus monter une montagne que la descendre ? Etienne Daho : «On est certainement sur le versant ascendant. Vous avez entièrement raison. » Pierre : Je voulais savoir si je pouvais vous comparer à Dieu dans « L’adorer » au vu du langage lexicale très biblique ? Etienne Daho : «La spiritualité a une place très importante. Pas avec un objet de culte, je ne parle pas de religion. Je me suis toujours senti relié à quelque chose de différent. C’est aussi pour ça que j’écris. L’écriture est toujours un moment d’hypnose. Le son et la musique sont par contre très précis dans ma tête. Je ne me pose jamais de questions sur ce sujet : je parle là d’arrangement, je sais exactement ce que je dois faire, je trouve les notes tout de suite. La manière dont je gère ma vie et ma carrière est basée sur l’intuition quasi animale. Mais faire un album chez moi c’est quelque chose qui met longtemps à venir très vite (rire).» Pierre : Le temps a beaucoup joué donc ? Etienne Daho : «Oui. Il est arrivé au bon moment. « Réévolution » était un moment de beaucoup de perturbation dans ma vie dans le sens positif de la chose. Je n’aime pas dire « faire du ménage » mais j’ai modifié des choses et changé des énergies. » Pierre : Est-ce que « La Vie Continuera » est l’intrus du disque ? Etienne Daho : «Au niveau du texte il est à sa place. Maintenant c’est un titre dont les arrangements sont volontairement très sixties. C’est un système avec une guitare qui tourne. C’est une chanson paradoxale : un texte sombre et dur avec une musique très légère. La sensation qui arrive est très particulière. C’est pratiquement un twist sous Lexomyl. J’aime bien qu’on attende plusieurs écoutes avant que l’on rentre dans mon disque ou dans mes chansons.» Pierre : Appartient on a l’endroit qui nous a vu naître ? Etienne Daho : «C’est très possible. Je le pense de plus en plus. Une amie psychologue à la lecture et à l’écoute de mon disque m’a parlé d’une chose importante à quoi je n’avais jamais pensé : c’était la sensation de l’exil. Je n’y avais jamais pensé car je passe mon temps à courir et à changer d’endroits. Dans mon album il y avait nettement la sensation d’exil. En même temps j’ai l’impression que tout ce dont j’ai besoin est en moi. Je suis une sorte de valise avec les gens que j’aime, les endroits que j’aime. J’ai beaucoup de mal avec l’engagement et être statique ce serait peut être trop dur à vivre. Pourtant la musique est une engagement total. Je peux faire passer la musique avant tout le reste… c’est difficile de faire passer la musique au second plan. C’est comme un truc monacal.» Pierre : Pouvez vous me parler de ce « Be My Guest Tonight » ? Etienne Daho : «C’était un projet de pleins de reprises éclectiques qui allait de Bily Holiday aux Libertines. J’ai travaillé avec mon guitariste de la dernière tournée. Finalement c’est un album que j’ai laissé de coté mais il reste un bout de ce disque avec cet EP. Une sélection de chansons que j’avais répété et enregistré. Et ce « bonus » accompagne très bien l’album. Ce sont des compléments à ce que je dis. J’ai toujours aimé transmettre et partagé. Quand je fais une reprise c’est comme lorsque je faisais des cassettes ado pour mes amis. Par contre je ne suis pas psychopathe car je ne suis pas collectionneur de disques (rire).» Pierre : Vous vous êtes mis au MP3 ? Etienne Daho : «J’achète très peu de disque. Il n’y a pas des millions de disques qui accompagnent votre vie, au mieux il y en a… hum… 150 (rire). Dans pleins de genres différents il y a des disques qui m’ont construits, qui m’ont ouvert l’esprit. J’aime beaucoup les avoirs en vinyle. J’utilise le format MP3 pour son coté pratique mais je n’aime pas le son. Quand vous aimez la peinture vous faites votre œil en regardant des tableaux et leurs couleurs, quand vous êtes musiciens vous écoutez la musique avec le meilleur son possible. Ecouter un MP3 c’est comme écouter une photocopie. C’est frustrant.» Pierre : Je vais faire mon méchant de service mais pourquoi ressortir un album quelques mois après avec des bonus ? Etienne Daho : «C’est tout simple. Ce ne sont pas des bonus. Au départ j’aurais naturellement préféré que tout sorte en même temps et qu’on puisse choisir. Maintenant il y a des impondérables de temps, de dates. Alors l’album va sortir, après une guerre sans merci avec la maison de disque en double vinyle. Il y a une version Ultimate qui va sortir avec le Daho-Show en plus que j’ai enregistré pour la télévision après la 1ere sortie de l’album. Il y aura une galette son et une galette image avec tout l’album, « Be My Guest Tonight », les duos du show avec notamment Air, Bashung, Charlotte Gainsbourg. Malheureusement pour le sortir il fallait attendre la date de la première diffusion à la télé. En même temps cela permet de sortir un bel objet avec tout. C’est un objet de luxe véritablement. Et le DVD du Daho Show sort à part si les gens ne veulent pas se racheter la totale alors qu’ils en ont déjà la moitié.» Pierre : Le Daho-Show sera-t-il reconduit ? Etienne Daho : «J’aimerais bien, j’aimerais inviter les BabyShambles, Jacno, Cat Power, Brigitte Fontaine. Cela permet de proposer autre chose que ce qui se voit aujourd’hui. Beaucoup de personnes ont énormément aimés. Et d’autres qui n’ont pas aimer le play-back. En fait il y avait très peu de live : il y avait Bashung et moi et Marianne Faithfull et Jarvis Cocker. C’était des choix. On a demandé par contre si play-back qu’il n’y ai pas de micro pour ne pas simuler. Les gens n’ont pas aimé le show car ils ont été gêné par le fait que l’on ne simule pas. Ce qui est très étrange. Qu’on ne simule pas, que l’on soit honnête à fortement gêné (rire). Les gens préférent donc voir un play-back avec un micro… c’est très instructif.» Pierre : Pour terminer quelle est l’invitation que vous ne pourriez refuser ? Etienne Daho : «Invitation à faire la fête toujours ! À chanter avec un artiste que j’aime, à produire un artiste que j’aime… une invitation à dîner. Je refuse finalement peut de chose. » Pierre : Et celle auquel vous échapperiez toujours ? Etienne Daho : «Celles qui nous achètent à coup de téléphone portable en cadeau (rire).