Interview

Chloé Mons - Interview - Pierre Derensy


Calamity Jane est Chloé Mons et Chloé Mons est Calamity Jane. Le Far West lui va tellement bien à la peau qu’elle ne fait qu’une avec les lettres de Martha Jane Canary. Insoumise, Libertaire, Chloé Mons ne pouvait qu’adhérer a traduire la légende dans un fantasme moderne de l’esprit de l’ouest. En compagnie de ses deux cow-boys solitaires, les frères B & B (Bashung-Burger) elle galope sur ce projet mirobolant et unique. Un programme de développement durable qui prendra forme sur scène entrecoupé de titres de son album « Chienne d’un Seul ».

Pierre :
Est ce que notre enfance fait ce que nous sommes à l’âge adulte ?
Chloe Mons :
Je pense oui. C’est d’ailleurs une des difficultés quand on est artiste : se souvenir de l’enfant que l’on a été et le garder vivant. Dans mon cas ce fut un bel âge d’or et cela m’a beaucoup apporté.
Pierre :
Justement vu vos origines nordistes, que vous a apporté la vie lilloise ?
Chloe Mons :
C’est une part de moi. Sûrement le goût de l’hiver, du froid, de la brume. Je pense aussi que ce n’est pas pour rien que tout les grands mouvements artistiques viennent de pays froids. Il y a quelque chose à transcender. Il y a une vie à rêver car le ciel est bas.
Pierre :
Est ce que c’est votre Deadwood à vous ?
Chloe Mons :
Oui ! (rire) J’ai toute ma famille là bas donc j’y vais assez régulièrement.
Pierre :
Dans tous vos disques il y a une trame, un point d’appuis, un personnage sur quoi broder ?
Chloe Mons :
Je sors « Chienne d’un Seul » qui est totalement différent. Une suite de mes chansons sans point d’appuis. « Le Cantique des Cantiques » le point de départ c’est que je me mariait avec Alain, c’est vrai que nous aurions pu écrire un poème d’amour mais ce texte nous plaisait car il est subversif et toujours remis en question. Et Calamity… c’est une base de donnée sur lequel vous pouvez délirer, rêver, se laisser aller. Vous avez des paysages dans la tête. Je ne dirais pas que c’est plus facile car il ne faut pas trahir le personnage. Je me suis vraiment mise dans sa peau. Dans ce qu’elle pouvait penser, j’avais envie d’imaginer des cris bien à elle.
Pierre :
Vous sortez coup sur coups ces 2 albums : Calamity-Jane et Chienne d’un Seul, se sont ils fait simultanément aussi ?
Chloe Mons :
«Chienne d’un Seul » cela fait très longtemps que je le traîne. Ce sont des chansons qui ont existé de manières différentes au processus habituel : maquetté avec plusieurs instruments puis finalement a partir du moment ou j’ai décidé de tourner seule en concert avec un guitariste j’ai trouvé la plus belle des manière de les enregistrer. «Calamity-Jane » je l’ai maquetté pendant mes concerts.
Pierre :
Tout est parti d’un projet radiophonique ?
Chloe Mons :
Au départ c’est un projet tout court : c’est Chloé qui fait ses trucs chez elle. C’était dans un tiroir chez moi et France-Culture est venu voir Alain pour une émission. Ils ont proposé cette plage à Alain sans avoir d’idée de trame, lui a pensé à Calamity. C’est pour ça que j’ai trouvé une pirouette pour le faire parler car c’était Alain Bashung qu’on venait chercher et pas moi. Cela fonctionne et maintenant c’est presque terriblement logique par rapport à cette femme qui était dans un monde d’homme. J’ai envi de lui dire que j’ai fais tout ce que je pouvais pour elle mais que le monde n’a pas beaucoup changé (rire) nous sommes encore sous la coupe des hommes.
Pierre :
Qu’est ce qui différencie votre maquette ou vous étiez seule du projet final que l’on peut entendre en disque ?
Chloe Mons :
Au départ je lisais avec mes petites ritournelles perso. C’était simple, fait à la maison tout ça dans un grand bonheur de lecture. Je lisais tout ce qui me tombait sous la main concernant le far-west. Ensuite pour le projet avec les 2 cow-boys (rire) on a fait ça en 3 jours chez Rodolphe dans une ferme en Alsace. Les chansons étaient quasiment prête sans instruments. Rodolphe a ajouté sa magie, Alain a lu les textes et puis voilà.
Pierre :
Comment êtes vous tombé sur « Lettre à sa Fille » ?
Chloe Mons :
C’était pendant la tournée des Grands Espaces, j’étais filmé avec un chapeau sur la tête et quelqu’un a fait le rapprochement avec ce recueil de lettres de Calamity-Jane. Dès que j’ai su que ce livre existait je ne pensais qu’à ça. Je l’ai trouvé, je l’ai lu et je voulais en sortir quelque chose.
Pierre :
Vous savez qu’on ne peut toujours pas dire si ces lettres étaient authentiques ou non ?
Chloe Mons :
Si elles sont d’elles ! Bien sur… y a toujours des gens pour remettre en cause des faits. Pour moi elles ont vraiment existés de sa main et je l’ai fais avec cette idée…
Pierre :
Que vous ont apporté Bashung et Burger sur ce disque ?
Chloe Mons :
J’ai été ravis de travailler avec eux. Pour Rodolphe c’est simple : il joue tellement bien de son instrument, le son qu’il produit s’accouple avec les paysages dans lequel se promène Calamity. Alain il m’amène sa voix de cow-boy. Ils sont dans la cohérence du projet.
Pierre :
On passe d’une narration des lettres à des chansons sur ce disque ?
Chloe Mons :
C’était logique. Cela s’est fait naturellement. J’ai lu le livre et tout de suite j’avais des mélodies dans la tête. C’était limpide. J’ai découpé le texte pour prendre les moments les plus émouvants. Je n’ai pas fais les chansons en fonction du texte. J’ai fais d’abord une série de chansons et après j’ai fais mon petit montage comme un film.
Pierre :
Les chansons sont très courtes, comme des parenthèses presque à la lecture ?
Chloe Mons :
Je n’aime pas broder, en mettre plus si cela n’est pas utile. Ce sont des cris qui viennent de l’autre coté du miroir.
Pierre :
Il y a un rythme shamanique dans vos compositions ?
Chloe Mons :
Cela me fait plaisir que vous disiez ça ! C’est très tellurique. C’est comme si j’étais une indienne blonde. Décalée.
Pierre :
Etre une femme libre à cette époque fait écho à la Chloé Mons du XXIème siècle ?
Chloe Mons :
Carrément ! Elle m’a parlée, elle m’a bouleversé. Savoir qu’elle est né dans une famille de mormon où les femmes ne servent qu’à reproduire l’espèce humaine et elle qui part ! qui s’habille en homme pas pour devenir hors la lois mais juste pour travailler et être libre. C’est incroyable quand on est seule dans une société à faire ça ! elle était très en avance, totalement seule et elle sent qu’elle ne peut vivre que de cette manière. Cette femme qui a un niveau de conscience beaucoup plus élevé que tout le monde et qui passe à l’acte ne peut que m’émouvoir.
Pierre :
Une femme au milieux d’hommes ?
Chloe Mons :
Oui comme maintenant. C’est peut être un peu plus facile dorénavant mais je trouve que le monde de la musique est extrêmement misogyne et se faire une place n’est pas du tout évident.
Pierre :
Vous semblez en souffrir comme elle ?
Chloe Mons :
Hum… cela ne m’empêche pas de faire mes trucs mais ce n’est pas de tout repos.
Pierre :
Calamity Jane c’est aussi la femme d’un grand amour ?
Chloe Mons :
Oui ! quand on prend à cœur un sujet aussi profond on aime bien se projeter un peu. Son amour fou avec Wild Bill, ce mélange de dureté dans sa vie tout en restant femme : très amoureuse, très fleur bleus, elle ne se coupe pas les cheveux elle les gardent sous son chapeau et elle n’en reste surtout pas moins mère, d’ailleurs ça la tue, elle est rongée d’avoir abandonné sa fille.
Pierre :
Il y a toujours ce mélange de violence masculine et de cette tendresse féminine qui se partage l’histoire c’est finalement très proche d’une image biblique ?
Chloe Mons :
Elle est extrêmement femme dans la mesure ou elle ne peut pas nier sa maternité et en même temps la dureté du monde masculin qui l’empêche de se faire une place. Cela demande une certaine distance avec tout, être absolument seule, son isolement qui termine en errance.
Pierre :
Vous pensez en faire un spectacle ?
Chloe Mons :
Absolument ! peut être pas avec Rodolphe et Alain vu leurs agenda chargés. Mais je vais essayer d’inclure Calamity dans mes dates de concerts perso.
Pierre :
Je voulais revenir sur votre prestation visuel dans la Tournée des Grands Espaces et vous demander si ce fut difficile de travailler sur un fond vert, sans décors, tout en imagination pour représenter le désert ?
Chloe Mons :
J’ai adoré ! c’est la seule fois ou j’ai travaillé dans un studio. Cela laisse une grande place à l’imagination. On peut facilement se faire un film dans la tête.
Pierre :
Vous allez faire une projection visuel lors de vos concerts ?
Chloe Mons :
Non ! Je vis dans un grand écart permanent. D’un coté des projets assez relevé et vous avez « Chienne d’un Seul » qui ne sort que sur mon site, je n’ai pas de distributeurs, je n’ai pas de maison de disque, je n’ai pas de tourneur. Je joue dans des petits bars avec zéro moyen : mon guitariste et moi.
Pierre :
Pour en revenir au cinéma : C’était mieux que Mocky ?
Chloe Mons :
Vous l’avez vu cette chose (rire) ? J’ai beaucoup rigolé avec lui. C’est la première fois de ma vie ou je suis arrivé sur un tournage avant l’équipe de tournage. Il est unique. Je ne regrette pas car avec lui c’est une aventure. De toute manière j’aime bien les personnages.
Pierre :
Vous avez toujours eu des Pygmalion et vous êtes bien souvent tombé dans le rôle de la muse, je voulais savoir si c’était assumé ou contraintes ?
Chloe Mons :
Ce que j’aime particulièrement c’est créer avec quelqu’un. Alors créer quand en plus il y a de l’amour c’est carrément le pied ! Je crois d’ailleurs que sans ça je n’y arriverais pas. Je ne suis pas une fille normale j’ai besoin d’un sens en plus. Fabriquer quelque chose avec mon homme, quelque chose qui transcende le temps, fixer quelque chose qui nous survivra.
Pierre :
Vous n’avez pas peur de montrer votre nudité, est ce pour vous le meilleur moyen de ne pas dévoiler votre âme ?
Chloe Mons :
Vous savez je suis très pudique. J’aime pas me mettre en maillot de bain par exemple. Par contre dans l’art j’aime bien être dans le regard de quelqu’un. Surtout si c’est justifié, si c’est beau et qu’il y a un sens. Je suis pudique mais peut être exhibitionniste (rire)
Pierre :
Est ce qu’on dit encore que vous êtes l’incarnation de Fellini ?
Chloe Mons :
De toute manière vous savez je suis décalée.
Pierre :
Cela vous a joué des tours notamment pour le cinéma ?
Chloe Mons :
Oui car cela fait très peur. Il y a plusieurs genre d’acteurs. J’aime bien jouer la comédie mais je pense qu’il y a des acteurs transparents sur lequel on peut dessiner ce qu’on veut et il y a des acteurs qui sont des personnages. Dans la famille de Béatrice Dalle. Je suis une nature qui n’a pas encore rencontré une personne qui a envie de me voir dans son histoire à lui. Pour l’instant je me suis beaucoup amusé, avec des anecdotes de cinéma mais ça ne va pas plus loin.
Pierre :
Vous vous sentez mieux dans la musique ?
Chloe Mons :
La musique m’a donné mille fois plus ! la musique ce sont mes textes, mes mélodies, mes histoires, c’est tellement personnel et épanouissant que j’adore ça. Au cinéma vous êtes l’outil de quelqu’un. Cela peut être merveilleux et très reposant car la musique cela ne l’est pas mais je n’ai pas encore rencontré un réalisateur qui ai envie de poser ses yeux sur moi. Chanter c’est merveilleux, la musique est puissante dans ma vie.
Pierre :
Avez vous encore cette graphomanie de remplir des cahiers ?
Chloe Mons :
J’écris beaucoup. J’ai 3 carnets. Avec chacun son utilité. Un carnet intime ou je raconte ma vie, le deuxième est axé sur un projet d’un auteur que j’aime bien, et le dernier est consacré à des phrases, à des chansons...