Interview

Arman Melies - Interview - Pierre Derensy


« Les Tortures Volontaires » titre du nouvel album d’Arman Méliès ne sont pas de grosses tortures, bien au contraire comme le précise le titre, on serait prêt à redemander pareil traitement si tous les albums sortant chaque semaine étaient de cette qualité. Entre cravache et cuir le garçon provoque une certaine admiration.

Pierre :
Vous avez pris le nom d’Arman Méliès mais n’était-ce pas Georges que vous deviez vous prénommer ?
Arman Melies :
(rire) Ca aurait été un peu trop voyant (rire). Mais effectivement c’est une référence à ce cinéaste car c’est un univers qui me touche beaucoup, j’avais l’impression qu’il y avait des parallèles entre ce qu’il avait pu faire au début du cinéma avec des bouts de ficelles et ce que je faisais au début qui était un peu épuré, avec ce côté bricolo d’une guitare sèche et d’un petit sampler.
Pierre :
Georges Méliès était un précurseur dans sa partie, peut on dire la même chose de vous ?
Arman Melies :
Non je n’ai pas l’impression d’être un précurseur en quoi que ce soit, je n’ai pas le sentiment d’inventer une musique particulière, j’essaye juste de faire quelque chose qui me soit propre en digérant toutes les influences que j’ai pu avoir à un moment donné et d’en faire quelque chose de personnel et singulier. C’est déjà une grande tache croyez moi !
Pierre :
Pourquoi tous vos personnages se présentent sur la pochette et dans le livret avec un loup sur les yeux, c’est pour respecter l’adage « pour vivre heureux vivons cachés »?
Arman Melies :
Il faudrait interroger le graphiste. Effectivement beaucoup des personnages sont masqués, je suppose que ma musique est relativement mystérieuse et qu’il a voulu avec ces masques évoquer un peu ce mystère. Il n’y a eu aucune consigne là dessus de ma part. Par contre c’est un projet qui m’a tout de suite plu. Je trouvais ça poétique, ce côté rétro et en même temps presque malsain d’avancer masqué.
Pierre :
C’est aussi une manière de ne pas savoir qui vous êtes physiquement ?
Arman Melies :
C’est une volonté de ma part. Je ne voulais pas apparaître, ou très peu et ça depuis le tout début de ma carrière. Certaines personnes m’ont demandé tout de même de mettre une photo de moi dans le deuxième album donc on en a mis une mais elle est relativement discrète, il faut fouiller le livret pour la trouver. Tout simplement car j’avais l’envie de créer un univers graphique cohérent avec la musique, c’était plus intéressant de faire quelque chose qui évoque les atmosphères qu’il peut y avoir dans la musique plutôt que de mettre ma trombine sans rapport.
Pierre :
Par rapport au titre, j’aurais aimé savoir si vivre est une torture volontaire pour vous ?
Arman Melies :
Je ne pense pas du tout. Le titre est ironique. Beaucoup des textes étant relativement mélancoliques, je désirais faire un clin d’œil sur le fait que les artistes ont souvent tendance à s’auto apitoyer.
Pierre :
Qu’est ce qui a fait basculer le fan de hardcore à l’indie-pop ?
Arman Melies :
C’est venu très progressivement. Au départ j’écoutais essentiellement la musique que mes amis écoutaient. Ce n’est pas forcément un choix personnel. Mais petit à petit on découvre des attirances par hasard qui se raccrochent à d’autres mouvements, à d’autres styles. On fouille, on creuse son propre sillon. « Hardcore » c’est aussi un peu réducteur en ce qui me concerne. Quand j’ai commencé la guitare j’étais intéressé par la musique qui était très violente mais aussi très techniques mais c’était aussi Nirvana ou les Pixies ou Sonic Youth. Alors même si parfois il y a des versions assez brutales de certains morceaux cela reste avant tout de la pop, légèrement déconstruite.
Pierre :
C’est aussi à cette époque que vous découvrez votre passion pour les grands compositeurs de BO comme Morricone ou Nino Rota que l’on retrouve surtout dans vos instrumentaux ?
Arman Melies :
Je vous rassure je ne vais pas me cacher en vous disant que ce n’était pas volontaire ou que je n’avais pas vu de similitudes, c’était au contraire un moyen de jouer avec les codes de la musique de film des années 70. C’est quelque chose qui est venu plus tardivement dans ma culture musicale, même si c’était latent en moi car ma mère m’abreuvait de ces musiques lorsque j’étais petit. C’est quelque chose que j’ai redécouvert bien des années plus tard.
Pierre :
Quel film auriez vous vraiment aimé mettre en son ?
Arman Melies :
N’importe quel Terrence Malick par exemple… bhen oui quitte à rêver, autant prendre des grands ! (rire) Et bien sur ‘Il était une Fois dans l’Ouest’. Mais pour le coup la musique étant tellement géniale que je ne me vois pas toucher à ce chef d’œuvre !
Pierre :
On va donc peut être vous laisser composer pour un film original ?
Arman Melies :
Il y a des projets pour l’instant mais rien de concret mais c’est effectivement quelque chose d’envisageable à court ou moyen terme.
Pierre :
Sur l’album vous faites presque tout, ce projet était tellement personnel qu’il interdisait les collaborations diverses ?
Arman Melies :
Je ne pense pas, je ne voulais pas écarter les autres musiciens mais c’est plutôt un pli que j’ai pris par habitude de faire dans l’économie de moyen. Au départ je n’avais pas la possibilité d’inviter d’autres musiciens donc je m’y suis mis seul et finalement j’y ai pris goût. Faire quelque chose qui soit intime ne nécessite pas de le faire seul. On peut trouver des gens qui conçoivent là où on veut aller et même enrichir le propos. Mais c’est assez plaisant de bidouiller, de faire des essais. Pour le coup autant le premier disque fut fait en autarcie autant sur celui là j’ai quand même eu quelques collaborations notamment sur les batteries, il y a 3 batteurs différents car ça c’est quelque chose dont je suis totalement incapable. Même après, j’ai demandé à d’autres musiciens de venir jouer sur mon disque mais c’était vraiment anecdotique c’était par pur plaisir d’inviter des amis au studio.
Pierre :
Vous n’êtes pas un solitaire reclus dans sa chambre ?
Arman Melies :
Disons que c’est une partie du travail, pour la composition je n’envisage pas d’écrire à plusieurs. C’est quelque chose que j’ai essayé de faire par le passé notamment quand je faisais un groupe avant de me lancer en solo. Mais même dans le cadre du groupe on réunissait les idées mais on travaillait chacun de son côté. Ce n’est pas quelque chose qui me parle.
Pierre :
Dans vos paroles il y a cette poésie qui ressemble à une écriture automatique ou d’écriture multi-pistes ?
Arman Melies :
Ce serait plus la deuxième option ! l’écriture automatique c’est quelque chose dont on me parle assez souvent, cela me tente mais je ne l’ai pas encore du tout abordé. Cela pourrait être une fausse contrainte qui pourrait être créative. Par contre ‘multi-piste’ oui, il y a une volonté de faire quelque chose de polyphonique. Comme si plusieurs personnages se retrouvaient au sein d’un même personnage qui s’exprimerait dans une chanson avec toutes les contradictions que cela peut provoquer. Essayer de faire un disque pas du tout simpliste qui reflète la complexité de nos vies. Quitte à être confus, à provoquer un tohu-bohu. Je cite souvent Logo Antunes l’écrivain portugais qui est passé maître dans l’écriture polyphonique ce qui implique de voir l’histoire sous différents angles. C’est beaucoup plus enrichissant au final qu’une vision monolithique d’un personnage qui parle et dit son point de vue.
Pierre :
Comment fait on pour placer « palingénésie » dans une chanson ?
Arman Melies :
(rire) Je ne sais pas ! je suis tombé sur ce mot totalement par hasard. Je l’avais noté car je l’avais trouvé assez drôle et joli. Palingénésie signifie régénérescence, en écrivant ‘Dora’ ce mot collait au sujet de la chanson. Cette personne qui renaît et revient à la vie. C’était aussi une provocation de mettre un mot qui soit totalement imprononçable et inconnu.
Pierre :
Beaucoup de gens pensent que vous venez de sortir votre premier album alors que vous aviez déjà « Le Long Train Lent Et Les Beaux Imbéciles »et « Néons Blancs & Asphaltine » à votre actif, pourquoi la mayonnaise n’a pas prise avec ceux là et qu’elle commence à prendre avec votre nouvel opus ?
Arman Melies :
La mayonnaise n’a pas pris avant car je pense qu’il faut laisser du temps aux chanteurs. Il y a aujourd’hui énormément d’artistes qui sortent des disques donc c’est difficile de se faire remarquer ou de trouver sa place. Mais c’est aussi car j’ai beaucoup travaillé auparavant en auto-production, c’était la philosophie du faire seul ! ce qui implique une exposition moins importante. Je travaillais avec un petit distributeur qui s’appelait Chronowax. Cela m’a permis de me faire connaître, il y a eu pas mal de chroniques sur mon premier album qui ont permis de diffuser le nom. Du coup avec ce deuxième disque et bénéficiant de la structure Warner qui s’occupe de la promo et de la distribution du disque forcément ça aide.
Pierre :
Vous faites partie de la sélection 2006 du FAIR qui est un organisme qui aide les artistes à se professionnaliser, c’était un moyen d’avoir un tremplin sans rentrer dans le château de la Star-Academy ?
Arman Melies :
De toute façon ce n’était pas envisageable. Déjà car je pense ne pas être fait pour aller dans ce genre d’institution mais aussi parce que je n’y avais pas ma place et qu’on ne m’aurait pas invité (rire). Sérieusement le FAIR est une aide indéniable, j’étais en train de préparer le second album, les maquettes venaient d’être faites et j’allais attaqué l’enregistrement quand j’ai appris que j’étais lauréat du FAIR, tout de suite cela a suscité un intérêt qu’il n’y avait pas avant, cela m’a permis de rencontrer des éditeurs, des maisons de disques, des tourneurs et cela a considérablement accéléré les choses.
Pierre :
L’album est très conceptuel, comment allez vous faire vivre ce concept sur scène ?
Arman Melies :
J’essaye déjà de restituer au mieux l’univers musical, c’est à dire que je recrée non pas les morceaux tels qu’ils sont sur le disque mais j’imagine une ambiance générale en revisitant les morceaux. Je joue sous différentes formules, soit seul avec des samples, soit avec un batteur voir des sections cuivres. J’essaye de renouveler un sentiment général qui se rapproche de ce que peut évoquer le disque plutôt qu’un copier-coller des titres. C’est beaucoup mieux pour le public qui n’a pas une décalque de ce qui a été enregistré et c’est aussi beaucoup mieux pour moi car c’est plaisant de pouvoir se permettre de jouer avec ma musique.